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fertilité toutes les autres contrées, et l’emportent sur elles autant que l’astre du jour l’emporte en splendeur sur l’astre de la nuit. »


IV

Au commerce des fruits, qui est en voie d’enrichir le port de Nassau, la Nouvelle-Providence et l’île d’Eleuthéra, les Bahama en joignent un autre, encore à ses débuts, et qui est appelé à faire la prospérité de l’île, aussi peu connue que peu peuplée, d’Andros, nom sous lequel on désigne un groupe d’îlots que séparent des bayous sans profondeur et que recouvrent des brousses, des marais et une végétation rabougrie, terre étrange, d’accès difficile et d’apparence aride. Longtemps on la tint pour impropre à toute culture. Ainsi que tant d’autres terres réputées infécondes, elle était réfractaire aux productions régionales. Inhabile à discerner celles auxquelles elle était apte, le cultivateur s’en détournait comme d’un sol maudit qu’on laisse en friche jusqu’au jour où ce que l’on appelle le hasard, et ce qui n’est que la perspicacité d’un observateur intelligent, révèle ce que ce sol peut produire mieux qu’aucun autre. Ainsi en était-il des Bermudes, ainsi en sera-t-il longtemps encore de régions déclarées stériles, parce que l’homme ignore leurs mystérieuses aptitudes, ainsi en fut-il d’Andros qu’un gouverneur clairvoyant vient de doter enfin de la culture spéciale à laquelle, semble-t-il, elle était prédestinée.

Cette culture est celle de l’agave, Agave rigida ; son produit est une fibre souple et résistante, que les Mexicains désignent du nom de chanvre sésal. Plante à la souche plus ou moins enterrée et rarement élevée de quelques centimètres au-dessus du sol, l’agave est couronnée par de nombreuses feuilles imbriquées, longues de deux mètres et plus, charnues, épaisses, raides, épineuses sur leur contour et terminées au sommet par une épine plus forte et plus acérée que les autres. Des clôtures faites d’agaves sont infranchissables et une plaine qui en serait semée serait inabordable à la cavalerie : ses dards éventreraient les chevaux et blesseraient mortellement les cavaliers. L’agave est une herbe, mais une herbe gigantesque ; une seule de ses feuilles constitue la charge d’un homme. L’inflorescence part du centre de la rosette des feuilles, figurant une hampe colossale dont la croissance atteint, en un mois, de huit à dix mètres de hauteur. L’intérieur des feuilles est sillonné, au travers d’un épais tissu cellulaire, par de longues fibres blanches, très tenaces, dont on fabrique des cordages aussi forts et moins altérables par l’eau que ceux de chanvre.

Ce fut sir Ambrose Shea, gouverneur des Bahama, qui dota