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le plus nombreux et qui représente les trois quarts de la population totale.

Sous ce climat, aussi chaud, mais plus salubre que celui des côtes d’Afrique, il s’acclimata sans effort, se reproduisit, défricha et cultiva le sol jusqu’au jour où, libéré de l’esclavage de par la conscience humaine révoltée, il devint, de par le nombre, le facteur principal, maître à son tour comme à Haïti et Saint-Domingue, travailleur intermittent, content de peu, sans besoins, oisif avec délices comme il l’est partout. Mais, une fois de plus, les conditions changées vont changer à leur tour les instrumens appelés à les servir. Force est aux outils humains de se transformer en vue de l’œuvre à accomplir, force leur est d’obéir à l’irrésistible impulsion, de s’y adapter ou de céder la place à d’autres. Une fois de plus, dans ce creuset d’où est sortie la race mixte qui peuple ces archipels, l’expérience se renouvelle, dans des conditions autres, mais en vue de résultats identiques, éliminant les élémens réfractaires, multipliant les élémens dociles, substituant, si besoin en est, au nègre indolent le Portugais laborieux, l’Américain infatigable. Par la force des choses, cette évolution économique aboutira à une évolution politique, à la prédominance de la race supérieure et, dans cette race, à la prédominance d’une nationalité distincte ou à la formation d’une nationalité nouvelle.

Puis, corollaire inévitable, à ces changemens ethniques correspondra une situation politique autre. De même que dans l’Afrique, dépecée par l’Europe avant l’heure où son orographie et son hydrographie enfin connues eussent permis d’asseoir, sur des données certaines, des délimitations de frontières, il a fallu créer des termes nouveaux pour exprimer des idées nouvelles : zones d’influence, sphères d’intérêts, de même ici les modifications prévues et inévitables vont déterminer un état de choses qui ne correspondra plus aux formules anciennes. On verra se produire une attraction naturelle qui ira à l’encontre des répartitions arbitraires de la politique ; cette attraction naîtra, et elle est déjà née, de la conformité des intérêts. Cuba, par exemple, et aussi les Bahama et Haïti se meuvent dans la sphère des États-Unis ; ils en sont le prolongement insulaire, ils n’en sont et n’en seront ni les colonies ni les possessions légales. À l’annexion qui est l’assimilation complète, au protectorat qui est la mainmise sur l’administration, se substituera une autre formule exprimant une idée différente, un état de choses analogue à la situation des États autrefois cliens de l’empire romain, indépendans de nom, dépendans en réalité. Les vieux liens qui rattachent plusieurs de ces terres à une métropole européenne, les conventions qui font des autres des