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religieux. Elle craignait que ce congrès, ainsi présidé, ne tournât au profit de notre influence. En choisissant un légat français, le pape rendait un hommage décisif au droit que possède la France de protéger les chrétiens d’Orient, La triple alliance, qui conteste ce droit, voulait empêcher cet hommage. On essaya d’inquiéter le sultan pour qu’il opposât des obstacles ; M. Cambon et Mgr Azarian le rassurèrent promptement, et le congrès eut lieu au mois de mai avec un plein succès.

Est-ce à dire qu’il aura des conséquences immédiates ? Que les Orientaux, pleinement rassurés sur la conservation de leurs rites, soient prêts à fusionner avec l’église d’Occident ? Les choses n’iront pas aussi vite ; le pape lui-même ne se fait pas d’illusions là-dessus. Il est une foule de difficultés accessoires, qui nous paraissent sans importance à Paris, et qui, sur les rives du Bosphore, en ont une considérable ; ces difficultés devront être aplanies. Telle est la réforme du calendrier, la substitution au calendrier julien, que l’église grecque suit encore et qu’elle reconnaît seul conforme aux décisions du concile de Nicée, de notre calendrier grégorien. Un barnabite de Bologne, le père Tondini, poursuit sur ce sujet, en français, une campagne intéressante de conférences contradictoires, à Athènes, en Syrie, à Constantinople. Le fait même que ce prêtre latin ait été admis à parler dans le syllogue grec, ce qui n’avait pas eu lieu depuis le concile de Florence, est une preuve de progrès marquant dans le libéralisme des idées. Et l’attention avec laquelle les autorités officielles et le corps diplomatique ont suivi ces tentatives témoigne à quel point les intérêts politiques et religieux sont ici connexes. C’est le côté politique de la question qui empêchera toujours l’union de l’église orthodoxe russe, placée sous l’hégémonie du tsar. Pour l’église arménienne ou grecque, si le pape, qui est entré au mois de mars dernier dans sa quatre-vingt-quatrième année, peut craindre, comme il le dit, d’être trop âgé pour voir s’accomplir ce grand événement, il a droit de se féliciter d’en avoir posé les bases.

Trop âgé.., peut-on croire même que Léon XIII le soit effectivement, en présence de l’activité étonnante que déploie l’homme qui, en quinze ans de règne, a rajeuni de plusieurs siècles l’Église et la papauté. Tandis qu’il poursuit, à l’est, l’aplanissement de litiges qui remontent à la toute primitive église, il étend et régularise, à l’ouest, l’action de l’église toute nouvelle, celle d’Amérique. Il ne se contente pas d’envoyer aux Américains sa bénédiction apostolique, dans un phonographe destiné à figurer à l’exposition de Chicago, il apaise les dissensions qui s’élèvent, tantôt, comme l’an dernier, en s’opposant à l’établissement de clergés de races distinctes, suivant la nationalité d’origine des émigrés, irlandais ou allemands, qu’ils doivent desservir ; tantôt, comme il y a deux mois, dans sa lettre au cardinal Gibbons,