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les deux tiers de leur longueur en moins d’une année. Sur l’extrême limite du plateau, là où commence la pente, au-dessus du vent, des arbres desséchés, sortis de leur tombeau de sable, sont polis d’un côté ; le bois a été dépouillé de son écorce, lissé par le choc des grains emportés par le vent et qui le frappent sans relâche.

La dune se déverse sur la forêt qu’elle abrite. La pente est très inclinée. En hiver, le sable humide se maintient ; l’été, lorsqu’il est bien sec, on le voit couler en une nappe mince comme dans un sablier, et même, quand tout est silencieux, que le vent est calme, on entend son bruissement continu. En dessous, à une très faible profondeur, l’intérieur de la dune est imbibé d’eau. La couche humide, mise à découvert par la chute rapide du sable sec subjacent, apparaît non pas uniforme, mais en barricades, en falaises minuscules de quelques centimètres de hauteur, toutes dentelées, en colonnettes vermiculées, architecture bizarre qui, dans l’air sec, se conserve encore pendant un certain temps, peut-être à cause des traces de sel apporté par les embruns de la mer et qui donne de la cohérence aux grains. Le sable ainsi agglutiné est dans un équilibre si instable que le passage d’un insecte, une mouche qui s’y pose, y détermine un écroulement subit qui se propage sur une certaine longueur.

La forêt continue à perte de vue, touffue, embroussaillée, composée de pins, d’arbousiers et de buissons. Doucement, grain de sable à grain de sable, la dune s’avance. Elle ne renverse pas les obstacles, elle les absorbe. Le sable se répand en couche mince sur la mousse et les brins d’herbe, la couche augmente, fait disparaître la teinte verte du sol, elle s’élève, monte le long des troncs d’arbres, les engloutit, et les branches seules émergent, elle monte encore, tout est enseveli, tout demeure caché pendant quelques années. La vague passe. Lorsque la déclivité diminue l’épaisseur du sable, la forêt réapparaît d’abord par les plus hautes branches affleurant le sol ; plus loin, on revoit les troncs qui restent droits, puisque rien ne les a ébranlés, jusqu’au moment où, privés d’appui, ils s’inclinent et tombent sur la pente extérieure.

Telle est la dune ; telles sont les phases suivant lesquelles s’accomplit le phénomène naturel qui, il y a juste un siècle, était un véritable fléau parce que le sable, continuellement apporté par les courans marins, s’avançait vers l’intérieur des terres et menaçait d’envahir le pays entier. La végétation seule peut arrêter ou plutôt prévenir son mouvement. Les feuilles et les tiges recouvrant sa surface la protègent contre le contact direct du vent, les racines qui pénètrent dans son intérieur le maintiennent, et les débris végétaux le transforment en un humus spongieux qui conserve l’humidité,