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de ces couches superposées, ce qui, en comptant les blocs de lignite remplis d’empreintes qui forment sur la plage un niveau visible seulement au plus bas de la marée, constitue six niveaux successifs, sols de forêts disparues, crêtes de vagues que le vent n’a pas eu le temps d’aplanir et qui ont été recouvertes par d’autres vagues, atteintes et recouvertes à leur tour, à six reprises différentes et ensuite mises à nu sur leur tranche par l’éboulement de la dune. Ces niveaux sont évidemment d’autant plus récens qu’ils sont plus élevés.

La couche inférieure correspond sans doute à la végétation vigoureuse reposant directement sur le sous-sol d’argile qui affleure en divers points et formait le plancher du bassin alors qu’il était lac d’eau douce et antérieurement aux envasemens. Elle est à l’état de blocs de lignite bourrés d’empreintes de plantes (typha et bouleaux) croissant au bord des eaux douces. La couche suivante est simplement un sable mélangé de terreau avec débris végétaux, la troisième et la quatrième sont un peu plus épaisses. Enfin, la cinquième, toute récente, supporte des troncs de plus desséchés, demeurés debout et dont beaucoup portent encore, maintenus par des clous, leurs pots à recueillir la résine, à demi remplis et d’un ancien modèle. La vague, qui est la crête de la dune actuelle, a passé sur eux, les a engloutis, et maintenant ils reparaissent, cadavres d’arbres qui, lorsque le sable s’éboule au-dessous d’eux, s’inclinent, tombent, roulent jusqu’au bas de la pente et vont grossir la barricade qui borde le rivage.

À son sommet, la dune change d’aspect. Le vent a chassé le sable tantôt d’un côté et tantôt de l’autre ; sur ce plateau se sont créés des vallonnemens, des creux, où, à l’ombre des plus à demi ensablés et pourtant encore couverts de leurs feuilles, on s’étend avec délices pour prendre un repos bien mérité par le rude exercice auquel on s’est livré. À la surface du sable brûlant, de petits coléoptères noirs courent alertes : ils grimpent les pentes, sont entraînés, roulent, disparaissent ensevelis, reparaissent, remontent, retombent et, Sisyphes en miniature, recommencent, sans se lasser, leur ascension infructueuse. De quoi peuvent se nourrir ces animaux, quel rôle jouent-ils dans la nature ? Et pourtant, connu ou inconnu, leur rôle existe, ils accomplissent une tâche. Après tout, dans leur entonnoir de sable profond de quelques centimètres, ils ne sont pas plus petits qu’un homme au milieu d’une ville. Si, après quelques semaines, on veut retourner en un de ces coins ombreux où l’on s’est reposé, le sable est tellement mobile que souvent on ne reconnaît plus la place. Les arbres ont été engloutis, leur cime dépasse à peine le sol. Des poteaux télégraphiques ont été ainsi enterrés sur