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pattes. Les gens valides sont partis sur les parcs ; il ne reste que quelques femmes très jeunes ou très vieilles. D’ailleurs, dans le Midi, il n’existe pas plus de femmes d’âge moyen que de saison moyenne : ou des torrens de pluie ou des torrens de soleil. Brusquement, au milieu de cette torpeur, retentit un tapage de voix. Trois commères sortent d’une maison, parlant, criant, gesticulant, se menaçant toutes à la fois. Il s’agit d’une vétille, mais comme elles ont sans doute réalisé des économies de paroles pendant la nuit, elles s’efforcent de les dépenser d’un seul coup. Et quand, arrivé devant l’église, on pousse la porte entre-bâillée d’où s’envole en bourdonnant un essaim de mouches posées sur le loquet brûlant, l’on entre dans une mystérieuse obscurité pleine de fraîcheur et de repos.

Une foule de localités des environs du bassin portent des noms grecs, Andernos, Biscarrosse, Arès, Blagon, Arcachon, Lanton, Ferret, Audenge, Balanos, Biganos, Pissos, Mios, Bilos, Gandos, la Leyre, le Teich, Gujan et d’autres encore. Une telle accumulation de mots étrangers est digne d’attention. Des archéologues ont cherché à en expliquer la cause et l’ont trouvée dans l’histoire légendaire[1]. Cette légende est peut-être vraie ; peut-être est-elle fausse ; elle est à coup sûr poétique et gracieuse. En la racontant, je me garde de me porter garant de son authenticité, la vérité est belle, mais la poésie possède, elle aussi, son mérite et, d’ailleurs, elle n’est point obligée de n’être pas la vérité.

Entre l’an 1200 et l’an 550 avant Jésus-Christ, les Pélasges doriens eurent sur toute l’Asie-Mineure, les îles de l’archipel, l’Italie, la Gaule, l’Espagne, un énorme mouvement d’expansion symbolisé dans la Méditerranée par les voyages d’Hercule. Après avoir franchi les Colonnes auxquelles le héros a laissé son nom, ces hardis navigateurs entrèrent dans l’Océan, remontèrent vers le nord en suivant les côtes où ils trouvaient un refuge en cas de danger et dont il leur était interdit, d’ailleurs, de s’éloigner, sous peine de s’égarer sur les flots, ignorans qu’ils étaient des sciences de la navigation. Quand la terre leur manqua, ils tournèrent à l’est, comme elle, et longèrent le rivage septentrional de l’Espagne. Ils pénétrèrent jusqu’au fond du golfe et, poussés par cette soif de l’inconnu, ce besoin d’aventures si caractéristiques de leur race, ils s’avancèrent encore vers le nord. Les navires de faible tonnage, incapables de supporter les gros temps, voyageaient de conserve afin de se porter mutuellement secours, et ces flottilles, montées

  1. Voyez à ce sujet, une Colonie grecque dans les landes de Gascogne entre l’an 1200 et l’an 550 av. J.-C., par H. Ribadieu. Paris, 1864 ; Dentu. — Voyage dans les landes de Gascogne et Rapport à la société royale et centrale d’agriculture sur la colonie d’Arcachon, par M. le baron de Mortemart de Boisse. Paris, 1840.