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La défense de l’huître contre ses ennemis, le nettoyage des parcs, leur entretien, le désherbage des zostères, les diverses manipulations de l’élevage, constituent la besogne des parqueurs qu’on voit, un peu avant l’heure de la marée basse, partir en flottille et, sur leur pinasse, à l’aviron ou à la voile si le vent est favorable, se diriger vers les claires. La pinasse ou tiliole, embarcation spéciale au pays, est entièrement en bois, sans un seul clou ; son fond est plat, ce qui lui permet de naviguer sur une couche d’eau très peu épaisse, et elle possède un mât disposé d’une façon très ingénieuse, pouvant se dresser ou s’abattre en un instant et portant une voile presque triangulaire. Par certaines allures, la pinasse file rapidement, quoique non sans causer quelque inquiétude à ceux qui ne sont point familiarisés avec ce mode de navigation, car elle donne une forte bande, et souvent son fond est en partie hors de l’eau. L’embarcation a le grand mérite d’être d’un prix modique, et, bien que peu élégante, nulle n’est mieux appropriée aux services qu’on en attend.

Après trois ans, l’huître est marchande. Néanmoins, il ne faut pas se le dissimuler, si l’on mange à Arcachon des huîtres exquises, la grande majorité est médiocre. La qualité dépend du fond. Délicieuses quand elles proviennent d’un fond de sable, leur goût est notablement inférieur lorsqu’elles ont été élevées sur la vase. Or le bassin, sauf du côté de l’entrée, est vaseux et le devient chaque jour davantage par l’apport des eaux de drainage des Landes. Aussi envoie-t-on, par cargaisons entières, sur des bateaux à vapeur, les gravettes d’Arcachon parfaire leur éducation en des localités d’eaux plus pures, à Marennes, à la Tremblade et quelquefois jusqu’en Bretagne. L’industrie ostréicole arcachonnaise pourrait certainement obvier à cet état de choses, livrer directement des huîtres fines et profiter de la plus-value.

L’huître gravette est une ostræa, la portugaise est une gryphée. Autant la chair de la première est délicate, autant celle de la seconde est lourde, coriace et nauséabonde. En revanche, la portugaise est beaucoup plus rustique ; elle ne redoute ni le typhus, ni l’hépatite de la gravette ; elle se gorge d’une nourriture vaseuse que l’autre serait incapable de supporter. Quand les deux espèces vivent ensemble, la portugaise est tellement vorace qu’elle dépouille immédiatement l’eau des particules nutritives en suspension, de sorte que sa voisine souffre de la faim et dépérit ; sa coquille épaisse, irrégulière, brave les attaques du courmaillot et la dent des tères ; son unique avantage est que, n’exigeant aucun soin, elle peut se vendre à bon marché. Elle a, du reste, été amenée presque involontairement dans la région. Un navire qui en avait