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arrosés, toujours frais tondus, à massifs de fleurs près desquels le passant aperçoit trop souvent quelques personnes assises autour d’un grand fauteuil où, entre des oreillers, repose une tête amaigrie, au visage alangui ; villas de malades riches qui viennent demander aux effluves chauds et balsamiques des pins un renouveau de force et de vie ; palais rustiques de la ville d’hiver devant lesquels on est ému parce que le luxe ne réussit pas à cacher les angoisses qui y règnent et les larmes qui doivent y couler. En les fuyant, on se sent heureux de respirer librement, de marcher rapidement et gaîment, sans craindre la brise fraîche de cette mer qui réserve tant de joies et d’admirations à ceux qui peuvent en supporter les rudes caresses.

La ville d’été suit la plage. Elle est un peu plus ramassée au centre, vers la place fermée par une balustrade livrant passage à deux escaliers dont l’eau baigne le pied, à marée haute, et où se trouvent réunis les cafés et les magasins. Elle se prolonge en une interminable rue d’environ 5 kilomètres. L’extrémité ouest est le quartier aristocratique ; l’extrémité est, du côté d’Eyrac et du faubourg Saint-Ferdinand jusqu’à la pointe de l’Aiguillon, est habitée par beaucoup d’artisans et de pêcheurs, et le pittoresque n’y perd rien. On est frappé de l’uniformité des habitations en bois, sans étage, ou surmontées d’un seul étage entouré d’un balcon, couvertes d’un toit plat, cachées sous la verdure. Arcachon a pris pour devise sa propre histoire ; autrefois solitude, hier village et aujourd’hui ville. On raconte qu’il y a une cinquantaine d’années, Tune des premières maisons de cette solitude fut bâtie par un marin qui avait longtemps voyagé dans l’Inde. Il voulut être logé comme on l’était là-bas et retrouver pendant ses jours de repos le souvenir matériel du pays qu’il avait jadis connu : son habitation fut un véritable bungalow, et les constructeurs qui sont venus ensuite ont eu le rare bon esprit d’imiter l’exemple donné. Il y a auprès des bains d’Eyrac, et avant d’arriver à l’église Saint-Ferdinand, quelques curieuses maisons de pêcheurs et d’artisans. L’une d’elles s’élève sur la plage même, un peu en contre-bas de la route. En réalité, elles sont trois ou quatre, appuyées les unes contre les autres, confondues en une seule formant un groupe bien isolé. Du milieu des tuiles rouges sortent de grosses cheminées, trapues, larges, faites pour les feux clairs et pétillans des sarmens de vignes, des branches de plus et des fagots de genêts et d’arbousiers. On y pénètre par une porte quelque peu déjetée ; sur les murs s’ouvre de temps en temps une fenêtre, quelquefois grande, quelquefois petite, quelquefois haute, quelquefois basse, et tout autour, une vigne folle, aux branches grimpantes, courant sur