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sur leurs bords, qui réveillent agréablement l’imagination. L’on n’est plus en France et pas encore en Espagne. Les costumes ont cessé d’être ceux du centre et du nord ; les paysans, vêtus d’une courte blouse bleue, souvent chaussés d’espadrilles, sont coiffés du béret. Leur type se transforme ; ils prennent un visage osseux, aux saillies accusées, des pommettes saillantes, des mâchoires fortement accentuées, avec une bouche fine, un menton rond soigneusement rasé ; le teint devient bistré, les yeux vits, la démarche nette et saccadée.

En moins d’une heure de route, on aperçoit la mer. On franchit d’anciens marais salans, on distingue à droite une longue bande bleue, bordée par une ligne sombre marquée de tâches grisâtres qui sont des villages perdus dans la brume de l’horizon, le train ralentit sa marche, il s’arrête, on est à Arcachon.

En allant droit du côté de la ville d’hiver, on passe devant le casino, on tourne à gauche, on tourne à droite, on enfile une ruelle encaissée entre les haies des jardins environnans, on escalade un escalier de gros galets disposés en gradins, on traverse un pont suspendu au-dessus d’une route, on arrive à l’observatoire, on donne trois sous au gardien, on gravit le susdit observatoire, mât d’une trentaine de mètres de hauteur qu’entoure un escalier suspendu en colimaçon, on dépasse la première plate-forme, on parvient à la seconde et, du sommet de cette espèce de cage aérienne qui ressemble à la hune d’un ancien vaisseau et qu’on sent osciller, on regarde. On a devant les yeux, réduit en véritable carte de géographie, carte bien vivante, le pays qu’on n’aura pas trop de temps pour étudier en deux bons mois, Arcachon, ses forêts et son bassin.

Le panorama est immense et splendide. On est quelque peu effrayé d’employer certains mots du genre, par exemple, des adjectifs dont je viens de me servir ; on les a obligés à qualifier tant de choses qui n’étaient rien moins qu’immenses ou splendides. Et pourtant il est impossible de ne point les prendre ici pour caractériser l’immensité et la splendeur. Le regard parcourt l’horizon, en fait le tour entier sans être nulle part arrêté. On se croirait oiseau de proie planant au milieu des airs. Au midi, une nappe de feuillage. Par places, on soupçonne, à un léger assombrissement de la teinte vert sombre des plus que les arbres suivent un faible vallonnement du terrain et descendent une pente douce pour la remonter ensuite. La forêt se continue toujours au-delà, toujours plus loin : on cesse de la distinguer qu’on la devine encore ; on comprend qu’elle existe. De fait, elle va jusqu’à l’Adour en suivant les dunes et atteint les premiers contreforts des