Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/917

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écoute siffler la bise, et l’on songe qu’autrefois, il y a vingt ou trente ans, elle mugissait bien davantage pendant cette fameuse nuit, alors que, blotti sous la mince toile d’une tente, couvert par la voûte sombre du feuillage de la forêt vierge, à travers les paupières closes par le lourd sommeil de la fatigue et surtout par une sorte d’invincible terreur, on était aveuglé par l’éblouissante clarté des éclairs. Les oreilles étaient assourdies au bruit des roulemens continus du tonnerre et au fracas des arbres frappés de la foudre, s’abattant en brisant sous leur masse le monde touffu des arbres plus petits et des buissons serrés à leur pied. Il est cependant d’autres voyages à la portée de tous les corps, de toutes les santés et de toutes les bourses, particulièrement à notre époque où l’on a, paraît-il, découvert l’art, jadis inconnu, de ne jamais manquer d’argent pour les choses superflues et qu’il est aussi agréable de faire que d’avoir faits. Celui que je vais raconter n’a eu lieu ni en Sibérie, ni dans l’Himalaya, ni au centre de l’Afrique, contrées qui, pour le moment, se partagent les sympathies des touristes, mais en France. C’est une excursion et non une exploration. Pour l’avoir accompli, je n’ai mérité aucun des lauriers dus aux explorateurs ; je me suis simplement diverti et intéressé, et, maintenant qu’il est terminé, j’y pense avec tant de plaisir que je suis heureux de trouver, en le racontant, l’occasion d’y penser encore. Le théâtre de ces modestes exploits est la ville d’Arcachon, le bassin qui la baigne et les dunes qui en avoisinent l’entrée.


Lorsque de Bordeaux on se dirige en chemin de fer vers Arcachon et que, la tête à la portière, on se livre à cette aimable occupation qui consiste à regarder le paysage ; que, paisiblement assis, on croit voir l’inconnu accourir au-devant de soi, tandis que tout ce qui est connu, champs, prairies, villes et villages, comme de crainte de vous lasser, s’enfuit au loin par derrière, on comprend aussitôt qu’on pénètre dans un pays nouveau. Les vignes deviennent plus rares, les maisons de campagne s’espacent, les pins se rassemblent, se serrent les uns contre les autres. On les avait d’abord aperçus isolés, dominant les toits de quelques villas de leur feuillage où chante le vent, maintenant ils se groupent en bouquets de trois ou quatre arbres ensemble, ils se réunissent en petits bois, puis en forêt et, sinon administrativement, car on est encore dans le département de la Gironde, du moins naturellement, géographiquement, on entre dans la région des Landes. Le passage est rapide sans être trop brusque. La brusquerie et sa sœur aînée la brutalité sont de laides choses, et l’homme de goût préfère aux surprises les transitions délicates, un peu estompées