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été braves en Afrique ! » Vous aurez tous deux raison, et vous serez bons amis.


Bologne. — Le sénateur m’avait donné une lettre pour le lieutenant-général Dezza. Je prends une voiture, et je me fais conduire au commandement du 6e corps d’armée, avec deux de mes amis, l’un Bolonais, l’autre Français et capitaine d’infanterie. Un soldat nous introduit au premier, dans un salon d’attente, et va prévenir le général. Au bout de cinq minutes, nous sommes reçus dans le cabinet de travail où l’officier général est debout, très grand, très large d’épaules, la moustache et la barbiche blanches, vêtu de la petite tenue : tunique noire à col rabattu marqué d’un U (Umberto), sans décoration, culotte grise à double bande rouge et bottes à l’écuyère. Mon ami de Bologne nous présente, et expose notre désir de visiter une caserne italienne. La physionomie du général se détend aussitôt. Il nous parle en français : « Messieurs, dit-il, vous ne pourrez pas dire au moins que votre visite a été préparée. Je vais vous donner un mot pour le colonel. Une caserne d’infanterie, n’est-ce pas ? — Oui, général. » Et nous repartons pour l’ancien couvent de Servi di Maria, où loge aujourd’hui le 27e de ligne, près de ce cloître ajouré, vous vous souvenez, dont les colonnes font une ombre si fine sur la rue.

Le régiment arrive de l’exercice. Beaucoup d’officiers dans le couloir peint à l’huile, noir en bas, jaune dans le haut, « ce qui est beaucoup mieux, me souffle mon compagnon français, que nos badigeonnages à la chaux et au noir de fumée. » Le lieutenant de service, l’écharpe de soie bleue en sautoir, nous mène dans le cabinet du colonel, près de l’entrée, à gauche. Il est presque luxueux, ce cabinet, avec de jolies tentures, des rideaux aux fenêtres, quelques objets d’art. Et le colonel, cavalière Pittaluga, est un homme des plus aimables. Il a le type de l’homme de guerre, maigre et alerte, et les yeux bleus. « Messieurs, nous dit-il, j’ai été reçu, en Corse, de la façon la plus courtoise. J’ai visité des casernes aussi. Et je tâcherai de vous rendre ce qu’on a fait pour moi. Je vous conduirai. Venez. » Nous passons dans la salle de réunion des officiers, où je n’aperçois que des journaux militaires, — la bibliothèque est à la division, — puis, dans une salle à manger où sont dressés huit couverts. « Cela n’existe pas dans tous les régimens, nous dit le colonel. J’ai voulu que mes officiers pussent prendre leurs repas à la caserne, avec moi, si cela leur convenait, et à des prix très modestes… Veuillez faire apporter des vermout, » ajoute-t-il en s’adressant au lieutenant de service. Le vermout di Torino apporté, le colonel fève son verre, et, comme il est Italien, c’est-à-dire habile à nuancer les choses : « À la