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la rente d’un hectare n’était plus alors que de 11 fr. 40, au lieu de 19 fr. 20, et l’étendue plus vaste de la superficie cultivée ne compensait pas cette baisse de l’intérêt. Si le revenu total atteignit un milliard en 1776-1800, quoiqu’il n’ait été selon moi que de 500 millions en 1576-1600, ce n’est pas par la différence du rendement particulier de chaque hectare, — 26 francs à la fin de l’ancien régime, au lieu de 19 francs à l’avènement d’Henri IV, ce qui ne constitue qu’une augmentation d’un tiers, — c’est par l’extension du territoire en valeur.

Sur les 50 millions d’hectares qui composent la France actuelle, il existait peut-être, en 1790, 20 pour 100 seulement de terres incultes, au lieu de 27 pour 100 en 1600, et 25 pour 100 de bois à la première date, au lieu de 33 pour 100 à la seconde. En revanche, il y avait plus de labours, plus de près et de vignes en 1790 qu’en 1600 ; soit, en tout, un lot de 8 millions d’hectares, mis en valeur depuis deux siècles, qui, en 1700, rapportaient 26 francs chacun, tandis qu’en 1600 ils ne rapportaient que très peu au-dessus de rien.

Il en a été de même de 1790 à 1893 : au lieu de 21 millions d’hectares de labour et de cultures diverses, la France en compte aujourd’hui 27 millions ; elle a 1,200,000 hectares de prés, 600,000 hectares de vignes, et 200,000 hectares de jardins de plus qu’au siècle dernier. Inversement, elle a, en bois, 4 millions, et en terres incultes, 3 millions 1/2 d’hectares de moins. C’est dire qu’en résumé son territoire agricole s’est agrandi de quelque 8 millions d’hectares qui procurent à leurs possesseurs un revenu de 400 millions de francs par an. Ces 400 millions de francs, joints au milliard de 1790, qui s’est doublé depuis cent ans, contribuent à former la rente présente du sol en France. L’enquête de 1880 évaluait le revenu total de la propriété non bâtie à 2 milliards 645 millions de francs. En tenant compte de la baisse des douze dernières années, il atteint tout au plus aujourd’hui 2 milliards 400 millions.

Mais ces 400 millions, provenant de défrichemens, d’irrigations, de transformations contemporaines, ne peuvent être considérés comme un bénéfice gratuit, échu aux anciens propriétaires. Ils sont en partie l’intérêt d’un capital incorporé à la terre, par eux ou par d’autres, sous diverses formes. Leur bénéfice, ce qu’ils ont gagné sans travail et sans dépense, c’est ce doublement de leur revenu, dont l’accroissement de la population et l’ensemble du progrès contemporain les ont gratifiés.


Vte G. D’AVENEL.