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et ce haut prix relatif des prés, correspondant à un prix également très élevé du foin aux siècles passés, est d’autant plus curieux qu’il existait alors une masse énorme de pacages banaux, et que ces pacages pourraient passer pour avoir fait aux prairies privées une heureuse concurrence. On voit qu’il n’en est rien ; puisqu’aujourd’hui où ils sont supprimés, le nombre des têtes de bétail élevé dans notre pays est beaucoup plus grand qu’autrefois, et les prés sont cependant beaucoup moins chers en comparaison des fonds destinés aux céréales.

Évidemment cette proportion n’est ni constante ni générale ; elle ne se produit pas dans toutes les provinces et à tous les instans de l’histoire agricole. Il en est de même dans la France d’aujourd’hui. Il y eut des momens où les prix des labours, dominés par les prix des grains, haussèrent plus que la valeur des prés, influencée par la valeur des bestiaux. Cela arriva, par exemple, dans des époques misérables, où le blé fut très cher, et où sans doute la consommation de la viande diminua. C’est ainsi que les prés, de 1501 à 1550, valurent 252 francs l’hectare, quand les terres ne valaient que 114 francs ; parce que cette première moitié du XVIe siècle fut une époque de bien-être où le blé était à bon marché et où, dans toute l’Europe, on mangeait beaucoup de viande ; tandis que de 1551 à 1600 les terres valurent 279 francs l’hectare et les prés 486 francs. Le mouvement est encore plus sensible dans les derniers vingt-cinq ans de ce siècle : la terre monte à 317 francs, le pré n’est plus qu’à 448 francs.

Les vignobles avaient valu, au moyen âge, des sommes plus importantes encore que les prés. On sait que, loin d’être plus particulièrement cantonnée, comme de nos jours, dans un certain nombre de provinces, la vigne était alors cultivée à peu près dans toute la France, y compris les districts qui lui paraissent le plus réfractaires, tels que la Normandie, la Picardie ou l’Artois. Cela tenait, non pas à ce qu’il faisait alors plus chaud, ainsi que quelques personnes l’ont assez naïvement avancé, — la science est formelle à cet égard, voilà plus de deux mille ans que la température n’a pas varié, — mais à ce que les populations du Nord et de l’Ouest se contentaient le plus souvent d’un terrible verjus, qui se présentait sur les tables sous le pseudonyme de vin. Les riches, d’ailleurs, faisaient venir du midi ou de Bourgogne une boisson plus potable. La question n’était pas, en ce temps, d’obtenir des produits remarquables, mais bien d’avoir des débouchés, le meilleur vin se vendait mal s’il était loin d’une ville, et le plus médiocre s’enlevait avec rapidité, si les consommateurs étaient à proximité du lieu où il se récoltait.

C’est ainsi que les vignobles parisiens, ceux des départemens de la Seine et de Seine-et-Oise, se vendent couramment sous saint