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En présence de deux faits d’ordre si divers, l’un national, l’autre universel, l’un moral, l’autre métallique, qui ont alors motivé l’avilissement des terres, il est assez difficile de déterminer la part de chacun, de préciser le tort que les malheurs des dernières années de Louis XIV ont fait à la propriété agricole, et l’atteinte que lui a porté le mouvement général des prix, de distinguer en un mot la faute des hommes et celle des événemens.

Toutefois on remarque que les terres, qui étaient descendues beaucoup plus bas et beaucoup plus vite que toutes les autres marchandises, se relèvent, quoique faiblement, mais enfin se relèvent, à 344 francs, de 1726 à 1750, tandis que le blé et les salaires diminuent. À partir du milieu du XVIIIe siècle jusqu’à 1790, la hausse s’accélère et s’emporte, avec une vivacité qui dépasse beaucoup ce qu’on a vu de nos jours, et que n’atténue pas autant qu’en notre XIXe siècle la dépréciation correspondante de l’argent. De sorte qu’à tout considérer, c’est sans nul doute à cette époque que se produit le plus formidable mouvement ascensionnel dont nos annales économiques aient gardé la trace. La terre labourable, qui avait passé de 2d5 à 344 francs sous le ministère de Fleury, comme je viens de le dire, monta à 515 francs, de 1751 à 1775, et à 764 francs l’hectare, de 1776 à 1800. Elle avait donc triplé en cent ans, ou mieux en quatre-vingt-dix ans ; car les renseignemens sur l’époque révolutionnaire, où la plupart des chiffres sont exprimés en assignats, font presque entièrement défaut.


V.

Il n’a été jusqu’ici question que du sol labouré ; nous devons examiner aussi, pour nous rendre compte de leur valeur, les autres natures de fonds : prés, vignes et bois. La moyenne de l’hectare de prés avait été, au XIIIe siècle, de 497 francs pour l’ensemble de la France, contre 215 francs pour la moyenne des labours. Au XVe siècle, elle n’est plus que de 154 francs contre 75 francs pour la terre labourable. Comme on le voit, ces deux genres de sols avaient baissé d’une époque à l’autre à peu près dans la même proportion, des deux tiers ; mais la différence de prix du labour avec la prairie reste beaucoup plus grande que de nos jours.

Aujourd’hui le labour est estimé 1,600 francs, et la prairie 2,600 francs l’hectare ; le premier égale donc près des deux tiers du second ; tandis qu’au moyen âge et dans les temps modernes, jusqu’à la fin du règne de Louis XV, il n’en valut pas même la moitié. On ne peut attribuer ce changement qu’à la création des prairies artificielles, depuis la fin du XVIIe siècle jusqu’à nos jours ;