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pourtant les plus ménagées, aussi élevé au moins que de nos jours, et les salaires y étaient moitié moindres.

La période suivante au contraire (1651-1675) fut en France une des plus fécondes pour l’industrie agricole : la terre passa de 308 à 481 francs l’hectare ; tandis que les céréales baissaient d’un cinquième : de 19 à 16 francs pour l’hectolitre de blé. Dans l’Ile-de-France le sol, au lieu de 380 francs, en vaut 537 ; en Normandie, 520 francs, au lieu de 295 ; en Champagne, 500 francs au lieu de 313 au commencement du siècle. Le prix de 500 francs est atteint ou dépassé dans le Maine et la Flandre ; en Picardie, l’hectare est à 434 francs ; à 437 francs en Bourgogne. Le Dauphiné a passé de 169 à 325 francs et le Berry de 150 à 261 francs.

La hausse de la valeur vénale des terres, dans les trois premiers quarts du XVIIe siècle, était un pur gain pour ses possesseurs. Elle n’était nullement en rapport avec la diminution de la puissance d’achat de l’argent, depuis Henri IV jusqu’à la fin du ministère de Colbert. Les salaires même, durant cette période, avaient plutôt baissé. C’est là un fait important à retenir, parce que les propriétaires fonciers sont enclins à présenter la hausse des biens-fonds comme la cause, ou le résultat, de la prospérité générale d’une nation, et la dépréciation des immeubles, au contraire, comme le signe d’une misère universelle. Il n’en est rien ; on l’a vu précédemment, on le verra encore par la suite. Chaque nature de prix subit des oscillations qui lui sont particulières, sous des influences qui lui sont propres et agissent isolément. Le prix des denrées ne s’est jamais proportionné au prix des terres ; et le taux des salaires n’a suivi, dans ses évolutions de hausse et de baisse, ni le prix des terres, ni le prix des grains.

Cette augmentation presque ininterrompue de la propriété foncière, depuis la fin du XVe siècle jusqu’au troisième quart du XVIIe, allait d’ailleurs avoir un terme. Plus que les grains, plus que les salaires, le capital immobilier allait se ressentir de la crise qui signale le dernier tiers du règne de Louis XIV. De 481 francs en 1651-1675, l’hectare de terre labourable tombe à 375 francs en 1676-1700. Le krach des terres s’accentua encore de 1701 à 1725 ; l’hectare ne valut plus alors que 265 francs. Il n’avait jamais été aussi bas depuis Henri II ; en moins de cinquante ans la propriété foncière avait perdu 45 pour 100 de sa valeur. Il est juste d’ajouter que, sur cette crise créée par des fautes politiques, par une mauvaise administration, était venue, dans les premières années du XVIIIe siècle, se greffer une hausse du pouvoir de l’argent, hausse purement économique, et qui n’avait aucun caractère calamiteux[1].

  1. Voir, dans la Revue du 15 avril 1892, la Fortune mobilière dans l’histoire.