Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Dieu le pardonne l’abandon où tu me laisses ! Hier, je te l’ai dit, du haut du balcon. Adieu ! Tu m’as cruellement trompé ! »

Qui sait ? Peut-être était-ce le même désabusé, assagi par l’expérience, qui faisait annoncer, dans la Tribuna du 21 octobre : « Trompé en amour, je désire épouser une jeune fille, une veuve, même d’âge, avec une petite dot. »


Padoue. — J’ai toujours aimé Padoue et Bologne à cause de leurs arcades. J’aime aussi, à Padoue, dans la basilique, la chapelle de saint Antoine, où sont les hauts reliefs de marbre blanc les plus éloquens que j’aie vus. J’allais donc les revoir, cette Suicidée de Sansovino, cette résurrection de l’enfant rendu à la mère, quand je fus distrait par un placard affiché sur les piliers des galeries. C’était un appel d’un comité quelconque, pour élever une statue à la mémoire d’un héros dont le nom m’échappe. On y rappelait, au début, que le héros s’était acquis une gloire immortelle parmi les hommes, en prenant part aux expéditions de Garibaldi, et, vers la fin, on le montrait jouissant dans les cieux de la félicité des saints. Assurément, dans la pensée des rédacteurs, la qualité de garibaldien n’était pas la moindre vertu qui eût mérité au défunt le bonheur éternel. Ils disaient « garibaldien » avec onction, comme on aurait dit chez nous « membre des conférences de saint Vincent de Paul. » N us n’aurions pas trouvé ces rapprochemens-là. L’âme italienne est pleine de contrastes, pour nous inexplicables. Quelque chose nous empêchera toujours de la comprendre tout à fait : notre extrême logique, notre inaptitude naturelle à la combinazione. N’est-ce pas à Bologne que j’ai vu la statue de l’Aumônier de Garibaldi ? Ouvrez les journaux les moins religieux, vous y lirez, à côté de l’indication du lever et du coucher du soleil : « Ave Maria de l’aurore, 5 h. 15 M. ; Ave Maria du soir, 5 h. 22 s. »


— Les étudians de l’Université ne sont pas rentrés. Je ne rencontre, dans le joli cloître intérieur où sont sculptés, peints et dorés, les blasons des anciens élèves nobles d’autrefois, que des ouvriers en train de réparer le pavage, un appariteur qui voudrait bien me montrer la chaire de Galilée, — une espèce de tour d’approche, en bois blanc, que je connaissais, — et le recteur de cette année, M. Charles Ferraris. Peut-être sait-on que les recteurs des universités italiennes sont pris dans le corps professoral et élus par lui, pour un an. C’est là une idée libérale, et qui n’est pas sans avantages. M. Ferraris m’emmène dans son cabinet. Je trouve en lui un homme obligeant et distingué. Il appartient à la Faculté de droit, où il occupe la chaire de statistique. Voici la seconde année qu’il