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a tant et si souvent reproché : j’entends, ses théories, sa prédication morale et tout ce qui dans son théâtre n’est pas « du théâtre. » Les quatre portraits de lui qu’on expose nous retiendraient quand même l’un d’eux ne serait pas signé du nom de Meissonier et un autre de celui de Bonnat. Il nous apparaît pour la première fois, jeune homme de vingt ans à la fine moustache presque blonde, dans le tableau que peignit Louis Boulanger pendant le voyage en Espagne. Il y est en compagnie de Desbarolles, qui sans doute lui inspirait dès lors ce goût qu’il a conservé pour la chiromancie, avec Auguste Maquet, Eugène Giraud, Boulanger, et enfin aux côtés de son père. Ce rapprochement n’est pas indifférent. On a souvent opposé le père et le fils ; comme il serait aisé de montrer tout ce qui de l’un a passé chez l’autre, et par exemple ce goût du romanesque et de l’extravagant ! Puis, ce qui trappe le caricaturiste Giraud et qu’il s’applique à faire saillir, c’est l’expression gouailleuse du regard : le sceptique Olivier de Jalin cingle de son ironie les naïfs qui prennent les pêches à quinze sous pour des fruits sans tache et la baronne d’Ange pour une femme du monde. Puis encore, cet air de gouaillerie disparaît, et à mesure que les traits s’accentuent, il ne reste plus qu’une expression de dureté, une allure batailleuse, une attitude de provocation et de défi, regard bien en face et bras croisés. Et il semble bien que dans le cas de M. Dumas l’atavisme ait été pour quelque chose. Il y a toujours eu en lui des élémens réfractaires à notre civilisation et qui n’ont pas pu s’assimiler. Dans la guerre qu’il a menée contre notre société, il est entré pour un peu du conflit des races. — On s’en rend compte surtout quand on voit à côté la tranquille bonhomie d’Emile Augier. Celui-ci est de notre race. Gaulois au point d’en être petit-fils de Pigault-Lebrun, Français de France, avec un peu du profil d’Henri IV et tout l’air d’un président du tribunal de commerce. Il a observé les mœurs de son temps avec autant de clairvoyance que son grand rival, et laissé de la société où il a vécu un tableau plus fidèle peut-être, plus large et peint d’une touche plus grasse. Mais il n’a songé que sur le tard et après plus d’un exemple à se poser en réformateur. Sa pente naturelle l’inclinait vers notre sagesse bourgeoise : connaître son mal et s’en accommoder, conserver les abus crainte des améliorations qui les aggravent, être content pourvu qu’on ne soit point dupe, savoir beaucoup de choses, deviner le reste et accepter le tout.

Les journalistes ne nous ont que peu occupés dans cette exposition organisée par eux. C’est qu’entre le journalisme et la littérature, et bien qu’on prétende assez généralement qu’ils se sont