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avec celui qu’exécutait vingt ans plus tôt Paulin Guérin. Le Lamennais d’avant 1830, celui des premiers livres de l’Essai sur l’indifférence, que l’on comparait à Bossuet, regardait devant lui avec confiance et suivait dans l’avenir le progrès de ses idées, dans un avenir qu’il imaginait meilleur, réparé par une Église qui aurait reconquis son autorité, et l’aurait rétablie au profit des humbles, des petits et des souffrans de l’humanité. Dans les années qui ont suivi, Lamennais a été renié par les siens, et rejeté par le parti qu’il avait organisé. Condamné par l’autorité, il a refusé de se soumettre. Il n’y a plus d’abbé de Lamennais ; il n’y a, affaissé dans ce fauteuil, que M. Féli, un vieillard vaincu par la vie. Sa pensée maintenant ne s’échappe plus en illusions et en rêves ; elle s’est repliée sur elle-même ; elle fait le compte de ses déceptions ; et le regard se détourne de ce sombre avenir où il voit monter la démocratie sans guide, tandis que l’Église s’isole dans un absolutisme stérile…

Ce qui caractérise la littérature au lendemain de 1850, c’est l’étroitesse de la conception qu’on s’en fait, et c’est que nous en voyons sans cesse le champ se rétrécir. 1848 avait été une belle banqueroute d’idées. On allait assister à l’avènement du fait. En philosophie, cela s’appela le positivisme. En politique, ce fut le gouvernement du second empire. Pour ce qui est des questions sociales, on en ajourna l’étude, attendu que, suivant les apparences, rien ne pressait. On voit alors se former un type nouveau, celui de l’homme de lettres qui, pour se confiner dans sa littérature, a rompu la communication entre le monde et lui. Rien ne l’émeut de ce qui touche les autres hommes. Il n’assiste à la vie qu’en spectateur et en témoin. Tout son effort ne va qu’à en observer les aspects et à les traduire, sans colère et sans haine, comme sans pitié ni sympathie. Il reproduit ce qui est sans s’attarder à chercher ce qui pourrait être, ou à conseiller ce qui devrait être. La réalité lui suffit et il s’y tient, sans se soucier de rien qui la dépasse. C’est ce qui fait le lien entre la littérature impersonnelle de Flaubert, et la poésie impassible des parnassiens, entre les écrivains artistes de l’école des Goncourt et les critiques à la manière de cet étonnant Paul de Saint-Victor, guindé, gourmé, plus rogue que tous les doctrinaires ensemble, et qui ne se douta jamais que c’est le bon moyen pour ne rien comprendre aux hommes ni aux choses que de les regarder de si haut qu’il s’était juché. Et c’est ce qui assigne une place tout à fait à part, au milieu des écrivains de cette période, à M. Alexandre Dumas. Son nom n’a cessé de grandir pendant ces dernières années et ce dont nous lui savons le plus de gré aujourd’hui, c’est précisément ce qu’on lui