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de passion. Voici la duchesse d’Abrantès, grande dame et si pauvre écrivain ; Pauline de Meulan, distinguée et frêle, qui aura son roman dont il est si convenable que Guizot ait été le héros. Et faut-il s’arrêter devant ces gloires en deuil dont les noms eux-mêmes ont je ne sais quelle harmonie pitoyable, Amable Tastu et Desbordes-Valmore ?

Déçu du côté des portraits de femmes, le regard cherche les portraits des poètes. Car on sait que les poètes, avec le génie, ont reçu en partage la beauté. Ils sont les fils des dieux. Et les dieux ont voulu qu’on put reconnaître, rien qu’à les voir, qu’ils ne sont pas fabriqués de la même argile que les autres hommes. Mais parce qu’il en était parmi les hommes qui s’occupaient traîtreusement à écouter si la lyre des poètes était bien accordée et si elle ne laisserait pas, d’aventure, échapper quelque note fausse, les dieux ont décidé que, sur le front même de ces méchans, se lirait toute la laideur de leur âme. Les critiques sont laids. Si vous en doutez, voyez Planche, et Sainte-Beuve, et Weiss, mais voyez surtout ce Villemain, extraordinaire avec sa tête de travers, son crâne dénudé et bossue, sa figure plissée, ridée, ravinée, et dont on ne sait, quand on la regarde, si c’est par ce miracle de laideur qu’elle vous retient ou par l’air d’intelligence qui y est partout répandu. Depuis l’excellent Ducis, âme sereine dans un corps bien nourri, jusqu’à Verlaine, de qui le masque incertain s’entrevoit derrière le brouillard dont le peintre Carrière embrume ses toiles, on a pu les grouper presque tous : Lamartine, le maître du chœur, front pur et regard droit, celui qui a plané par-dessus toutes les mesquineries de ce monde, passé par la politique sans être souillé par elle, par la richesse sans être diminué par elle, par la misère sans en être humilié, le seul peut-être chez qui le caractère n’ait pas été moindre que le génie, le seul à coup sûr qui remplisse entièrement la conception que nous nous faisons du poète ; Hugo, fixé dans l’attitude qu’il s’est choisie pour comparaître devant les siècles, moins poète que penseur, conversant avec l’infini, et quasiment effrayé par la profondeur des abîmes que découvre la puissance de sa métaphysique ; Musset, bambin rieur sous ses boucles blondes, car il a dit : « mes premiers vers sont d’un enfant ; » le comte Alfred de Vigny, descendu des hauteurs de son orgueil et causant avec cette politesse qu’avaient presque tous les hommes de ce temps-là et qu’ont désapprise presque tous les hommes de ce temps-ci ; Casimir Delavigne, de qui le Havre n’a pas cessé d’être fier ; Auguste Barbier, qui, pour avoir une fois reçu la visite de l’inspiration, en demeura, tout le restant de sa vie, étonné et muet ; Baudelaire, peint par Deroy, l’œil luisant, le buste étriqué,