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Encore, s’ils n’étaient, ces portraits, qu’insignifians ! Mais ceci nous déconcerte. Les femmes de ce siècle qui ont été célèbres par leur esprit ne l’ont pas été moins par leur beauté ; et les succès de l’une n’ont pas nui aux succès de l’autre. On les a beaucoup aimées. Nous faisons de vains efforts pour retrouver sur ces visages naguère admirés un peu de l’agrément par où ils séduisirent les contemporains. C’est que nulle part ailleurs la mode ne règne en maîtresse plus souveraine ni plus capricieuse. Les grâces de l’autre siècle reprennent pour nous tout leur piquant ; mais les grâces d’il y a trente ans ne nous semblent vraiment que des grâces fanées. Et puis ces accoutremens, encore qu’on y revienne parfois, nous paraissent si ridicules ! Comment a-t-on pu aimer une femme à turban ou à tire-bouchons ? Le portrait de Delphine Gay, à ce point de vue, mérite qu’on s’y arrête. C’est une copie du fameux portrait peint par Hersent. L’écharpe qui, jetée sur la robe de mousseline blanche, s’enroule autour des fortes épaules, cette écharpe bleue du même bleu que les yeux, parut à l’époque une trouvaille du meilleur goût. D’humeur plus chagrine, nous sommes frappés surtout aujourd’hui par le ton criard de ce bleu. Les yeux au ciel, le menton appuyé sur la main, sentimentale et solidement charpentée, celle dont le peintre a voulu immortaliser les traits, c’est la poétesse inspirée, l’auteur de Magdeleine et de la Vision de Jeanne d’Arc. Ceci est un portrait de muse. Le vicomte de Launay ne devait naître que plus tard. Vous est-il arrivé de lire quelques-unes de ces chroniques parisiennes qu’on a eu l’imprudence de nous conserver ? Le badinage en paraît aujourd’hui fâcheux, pour n’en rien dire de plus. Il y a là des plaisanteries, comme celle de la dame aux sept petites chaises, prolongées avec une insistance qui exaspère et une candeur qui désarme. Quelqu’un me souffle que, pour ce qui est du badinage, celui où se sont jouées des plumes masculines n’a pas mieux résisté. Il faut songer qu’un temps fut où on s’arrachait les feuilletons de Jules Janin. Cela est une juste revanche pour les écrivains de la u littérature difficile. » — Quelques-unes de ces images sont plus aimables : un tableautin qui nous montre dans un paysage de convention Mme de Staël et sa fille, la future duchesse de Broglie ; surtout une adorable ébauche de Delacroix qui représente George Sand, non pas la George Sand de presque tous les portraits, vieillie et apaisée, mais jeune, séduisante et brillante, fin ovale sous l’abondante chevelure noire et le large chapeau, teint d’ambre, regard de flamme, lèvres savoureuses, point ressemblante peut-être si par là on entend la conformité avec l’apparence habituelle, mais transfigurée par la vie intérieure, et telle que pouvait la faire un moment d’enthousiasme ou