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« J’ai grandi sur les cailloux des routes, jamais — je n’ai eu maison ni parens ; — sans chaussures, les habits en désordre, sans nom, j’ai erré — à la suite des nuages et du vent.

« J’ai connu les nuits sans sommeil et l’inquiet — souci du lendemain, — l’inutile prière et le désespoir secret, — et les jours sans pain.

« J’ai connu toutes les fatigues extrêmes, — et les misères obscures. — J’ai passé au milieu des visages sombres et ennemis, — partagée entre les larmes et la crainte.

« Et finalement, un jour, sur un lit, — blanc d’hôpital, — un ange noir a étendu sur moi, — son aile aux ongles courbes.

« Et je suis morte ainsi, entends-tu, seule, — comme un chien perdu, — je suis morte ainsi sans une parole — d’espoir ou de salut.

« Comme elle brille ; comme elle est noire et épaisse, — ma chevelure qui coule ! — sans un baiser d’amour elle sera ensevelie, — sous la terre froide.

« Comme il est virginal, et blanc, et flexible, — mon corps, et comme il est léger ! — À présent tu le déflores de l’avide — baiser de ton couteau !

« Va donc ! Taille, déchire, coupe, tranche… — qu’importe ? je suis matière vile ! — Cherche dans mes entrailles, cherche l’horrible — mystère de la faim !

« Descends avec ton scalpel, jusqu’au fond — de moi-même, et arrache le cœur, — cherche-le dans mon cœur, cherche le sublime — mystère de douleur.

« Toute nue ainsi, sous tes yeux, — je souffre encore, sais-tu ? — De mes prunelles vitreuses, je te regarde, — et tu ne m’oublieras plus.

« Car, sur mes lèvres, comme un dernier — souffle de passion, — frémit un râle sourd — de malédiction. »

Après le grand succès qu’elle a obtenu en Italie, Mlle Ada Negri vient d’être nommée à l’une des écoles normales de Milan. On me dit qu’elle prépare un poème. Hélas ! quand on est si jeune et vraiment poète ! Se peut-il ?


— Un grand éditeur, — ils sont presque tous du nord, — me disait : « Les villes où on lit le plus sont Turin, Milan et Trieste. Très lettrée, Trieste l’irredenta. L’Allemagne achète aussi passablement nos ouvrages italiens. Quand un volume a du mérite, j’en vends cinq cents exemplaires en Allemagne et cinquante en France. »

Aux devantures des librairies, et dans les catalogues, j’ai rencontré maintes fois des traductions de M. Zola, dont les Italiens font volontiers observer l’origine italienne. La faveur du public s’est