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la physionomie de l’individu qui y est représenté, l’œuvre qui a pu être la sienne. Voyez cette bonne dame dont le calme visage s’entoure d’épais bandeaux. Il ne respire, ce visage, que la belle santé morale, l’équilibre de toutes les facultés et la paix de l’âme. Ce qui fait certaines vieillesses si séduisantes, c’est que le bonheur de toute une vie sans secousses y rayonne. Cette femme, à coup sûr, est de celles que la vie a épargnées, parce qu’elles ont su imposer silence à leur cœur, ou dont peut-être le cœur n’a pas parlé. Elles ne se sont pas trouvées à l’étroit dans la société telle qu’elle est organisée et n’ont pas senti peser sur elles les usages ni les lois. Cette expérience qu’elle a faite de la vie lui a dicté les leçons qu’elle a mises dans ses livres, afin de nous communiquer les enseignemens d’une sagesse bienfaisante et les conseils d’une raison soumise et confiante… En fait, et jusqu’à ce qu’elle s’avisât de devenir la bonne dame de Nohant, Aurore Dupin a brûlé de toutes les ardeurs, connu toutes les révoltes, déchaîné tous les orages, inspiré quelques-uns des cris les plus désespérés qui traversent la poésie de ce siècle, troublé profondément les âmes qui ont eu foi dans sa parole. — Près d’elle, cette autre, d’aspect insignifiant et doux, semblable aux aïeules qu’on aperçoit dans l’encadrement des fenêtres de maisons très vieilles, c’est l’athée dont la bouche a blasphémé superbement. — Nul ne fut d’apparence plus commune que Sainte-Beuve, si personne peut-être n’eut dans l’esprit plus de finesse. — Sous cette forme épaisse et si enfoncée dans la matière, quel caprice d’un démiurge facétieux a enfermé la pensée subtile et déliée qui fut celle d’Ernest Renan ? — Mais combien d’autres dont la complexion physique semble n’avoir été que le plus insolent des paradoxes !

C’est ainsi que nos idées se trouvent contrariées. Il arrive d’autres fois qu’elles semblent justifiées. J’aperçois dans un portrait de Courbet et dans un buste de Dalou le profil anguleux de Rochefort. Celui-ci n’est pas le révolutionnaire classique et à la vieille mode. Il n’a pas les longs cheveux tombans et la barbe embroussaillée, non plus que le jargon hérissé et le pathos humanitaire. Point d’utopies sentimentales chez cet ami du peuple, ne d’aristocrates, Parisien de la décadence avec des goûts d’artiste et des besoins de jouissance. Ce n’est pas à force d’éloquence et ce n’est pas non plus par le mirage d’un état social meilleur, qu’il soulèvera les foules. Il n’a pour seule arme qu’un esprit de boulevardier. La blague est son instrument de propagande. Il adapte à la politique la plaisanterie des vaudevilles de Duvert et Lausanne. Il combat les gouvernemens avec des calembredaines. Il les combat tous indistinctement. Comme si l’instinct subsistait en lui des