maire de la commune, qui fait un peu l’esprit fort, je veux bien, mais je voudrais en être tout à fait sûr ; or, dans les descentes de justice, j’ai vu déterrer des cadavres, et c’est terrible : plus de chair, plus de cervelle, plus d’yeux ! — Tu ne sais pas, maire, repartit L…, les yeux, ils sont partis ailleurs. — Et vous pouvez croire qu’il n’avait jamais lu les vers de Sully Prudhomme : Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux… Ils sont, eux aussi, capables de sentimens profonds, et les romanciers qui ont méconnu cette faculté s’étaient contentés sans doute de les étudier à travers la Gazette des tribunaux ; chez eux, presque autant qu’à la ville, la passion, l’amour paternel, le mal du pays comptent des héros et des martyrs. Quant à leur confiance, à leur amitié, ils ne l’octroient qu’à bon escient, mais si vous vivez beaucoup avec eux, s’ils sentent que vous les aimez, que vous entrez dans leurs peines et leurs espérances, que vous êtes toujours prêt à leur bailler un bon conseil, un coup d’épaule, vous serez payé de retour. On ne les a pas habitués au désintéressement : les beaux messieurs leur font la cour trois mois avant l’élection, et après… serviteur : ils le savent, se demandent quel intérêt pousse ce nouveau-venu à les cajoler, et, de crainte de se tromper, mettent dans le même sac Cléon le corroyeur et Aristide, le courtisan qui veut faire ses affaires, l’homme dévoué qui veut faire leurs affaires et celles de la France. Entre eux, ils montrent plus d’abandon : combien de vieux amis font la fête ensemble depuis trente, quarante ans ! combien consentent des prêts relativement considérables, sur simple billet, parfois sur parole, à un voisin dans l’embarras !
XII. — STATISTIQUE AGRICOLE, PROGRÈS ET REMÈDES.
D’après le mémoire de l’intendant d’Harouys en 1698, la plaine ou pays bas est, à cette époque, fertile en céréales, fourrages, vins, qui alimentent Lyon, la Lorraine, la Haute-Alsace, la Suisse, les armées d’Italie et d’Allemagne. Quand les débouchés manquent, le blé tombe à si bas prix que toute l’année devient carême pour le laboureur : ainsi le sac de 200 livres, vendu en temps de guerre 20 et parfois 30 livres, ne vaut que 5 livres pendant la paix. Le paysan de la plaine préfère céder ses fourrages à la cavalerie royale, tandis que, plus sobre, plus économe, vivant de pain d’avoine et d’orge connu sous le nom de bolon, de laitage et d’un peu de lard, le montagnon élève beaucoup de porcs, de bétail rouge pour la boucherie, commence à fabriquer fromage et beurre pour l’exportation ; ses vaches, grandes et grasses dans la mon-