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À ta quenouille au ruban roux,
File un mouchoir de chanvre doux,
Afin que, si pleurer tu veux,
Tu puisses essuyer tes deux yeux !

À ta quenouille au ruban noir,
File, sans trop le laisser voir,
Le linceul dont, quand tu mourras,
L’un de nous t’enveloppera.


Dans la principauté de Montbéliard, lorsque le ministre avait déclaré unis les époux, l’assistance, d’un mouvement unanime, frappait du pied le sol, comme pour mieux sceller et rendre indissoluble l’alliance ; cela s’appelait clouer le mariage ; en certaines paroisses, les trépignemens de l’assemblée étaient remplacés par un homme qui, au moment solennel, enfonçait à coups de marteau un clou dans la balustrade de la galerie dominant la nef du temple. Et aujourd’hui, au retour de la messe, les époux vont se faire reconnaître par les parens du jeune homme qui les embrassent, leur remettent une pièce d’argent, puis la belle-mère donne à la bru une cuiller à soupe ou pochon, symbole de la ménagère. De là chez la mariée ; porte close ; on tape ; après quelques giries, on ouvre, et un des invités offre aux époux le bouquet ; la mariée boit, mange de la brioche, passe au mari verre et gâteau qui font le tour du cortège, et voilà le chantelot. Dans la soirée, intermède comique pour permettre de digérer le dîner et se préparer au souper : à celle qui se mariera la première, on apporte en grande cérémonie le chanteau : du pain, une brioche, une bougie, un oignon ; afin qu’elle ait toujours de quoi manger, se réjouir, s’éclairer et pleurer. Pleurer ! car il faut prévoir les chagrins ; ou bien serait-ce une ironie profonde et cet oignon présagerait-il à l’épousée un veuvage prématuré, un moyen de verser des larmes que la douleur seule n’arracherait point ?

Des conseils si sages que l’on vient de rapporter, un au moins court risque de tomber en des oreilles incrédules. Autrefois, nos villages comptaient par dizaines les familles de huit, douze, quatorze enfans, elles deviennent relativement rares ; notre cultivateur comtois se fait malthusien, ne regarde plus l’enfant comme un élément de prospérité ; ce qui rend l’étourneau maigre, c’est la grosse bande, répète-t-il faussement ; trois, quatre héritiers lui suffisent largement, encore cherche-t-il à retirer de la culture les mieux doués, comme si elle n’exigeait pas autant d’intelligence que de volonté, comme si elle n’était pas l’industrie mère qui réclame les plans, les travaux sagement conçus. Ils seront prêtres, professeurs, instituteurs, huissiers, facteurs, et l’on se ruinera au besoin pour