Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/805

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le prêtre et Satan. Le prêtre s’aidait de prières et de conjurations ; le diable se défendait avec blasphèmes et moqueries. C’était chose étrange comme ce malheureux se servait du corps et des membres de la possédée, car tantôt elle regardait le prêtre de travers et d’un œil courroucé, tantôt elle hochait la tête, lui faisait la grimace, et lui tordait la bouche en se moquant de lui… Quand on aspergeait la possédée d’eau bénite, elle faisait tout son possible pour n’en pas recevoir une goutte, tantôt à l’aide de ses mains, tantôt en penchant son visage contre terre. Quand on voulait lui en faire boire, il fallait que deux ou trois hommes s’employassent pour lui ouvrir la bouche, et dès qu’elle en avait avalé une goutte, le démon jappait comme un chien, criant : « Tu me brûles ! tu me brûles !… » Le prêtre, le voyant si opiniâtre, fait allumer un feu dans lequel il jette du soufre et d’autres parfums, puis écrit le nom du démon sur un billet qu’il brûle à l’instant. Le démon alors hurle et jappe furieusement, si bien que les cheveux nous hérissaient sur la tête en l’entendant, et en voyant d’un autre côté la Rollande tellement exténuée du travail, qu’à peine pouvait-elle respirer. Et comme la nuit approchait, on se retira. Cependant le démon sortit trois heures plus tard sous la même forme (celle d’une limace noire) et de la même manière que le premier. »

Et, lugubre épilogue de l’histoire, une fois délivrée comme possédée, Rollande fut poursuivie comme sorcière, mise à la torture, condamnée ; elle fit appel à la cour qui, confirmant le premier jugement, ordonna qu’elle fût conduite sur le tertre, attachée à un poteau et brûlée : ce qu’on exécuta le 7 septembre 1600.

Il n’y a plus aujourd’hui en Franche-Comté, observe avec grâce Xavier Marmier, d’autre sorcellerie que celle des beaux yeux de nos jeunes filles, et aucun exorcisme ne saurait nous en guérir. Mais est-il bien sûr que ces diableries ne rencontrent plus que des incrédules ? Combien de villages où, au lieu d’appeler le vétérinaire, l’artiste, lorsqu’une vache tombe malade, on fait venir le monsieur, un simple paysan, mais une manière de personnage, qui prononce certaines paroles, et fait sur l’animal des signes cabalistiques ! Car les sorciers possédaient un grand pouvoir médical, qu’ils daignaient exercer parfois, et il leur arrivait souvent, quand ils voulaient guérir une personne, de jeter le sort sur une bête. La loi, bien entendu, ne s’occupe plus de leurs conjurations si elles ne se compliquent de fraude, de supercherie : moins de poésie, plus de sécurité, nous n’avons pas perdu au change, et puis ceux qui restent ne sont pas de vrais sorciers, ils ne vont point au sabbat, ils n’ont plus la grêle à leurs ordres, leur regard n’offense plus, comme jadis, les petits enfans, le bétail, le blé, les arbres.