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et Satan fermiers du bon Dieu ? Qui me redira les dames vertes et blanches, l’herbe qui égare et l’herbe à la recule, la ronde des esprits sur les bassins du saut du Doubs ? Non assurément, un drame de d’Ennery, Monte-Cristo ou les Mousquetaires de Dumas ne nous captivaient pas davantage. C’est que ces fables, qui tiennent au sentiment religieux et à la poésie, descendent au fond de la vie intime et héréditaire, évoquant le culte des ancêtres, l’amour de la petite patrie, d’une patrie matérielle, si l’on peut dire, qui se compose du village où on naît, avec le ruisseau qui le traverse, la montagne qui le domine, l’houteau, le logis plein d’âmes et de tendresses, le cimetière où vont dormir le passé, le présent et l’avenir.

On sait l’histoire de ce roi d’Espagne exigeant de son confesseur un acte authentique où celui-ci, sur son propre salut, promettait que sa majesté aurait le paradis. Superstitieux et positifs, croyans zélés, mais désireux d’acheter le royaume céleste comme on achète un champ ou une vigne, les anciens paysans comtois se montrent sous ces deux aspects qui attestent l’empreinte de la domination espagnole[1]. Combien, d’ailleurs, et de tous les pays, considèrent leurs bonnes actions sur cette terre comme un placement en vue de l’éternité ! Jadis vivait à Rougemont un homme riche, pieux, mais qui, selon le dicton consacré, n’attachait pas ses chiens avec des saucisses. L’hiver avait été rude, la misère effrayante ; les Cordeliers, après avoir épuisé toutes leurs ressources pour nourrir les nécessiteux, dépêchèrent au grigou un des leurs, qui finit par lui arracher 300 écus ; mais il avait fallu promettre, par cédule bien en règle, que le bon Dieu les lui rendrait selon l’Évangile, qui affirme que ces aumônes-là sont restituées au centuple ; et, pour plus de garantie, Mathieu prescrivait par testament qu’on enterrât avec lui l’obligation. Comme il mourut ensuite assez subitement, la justice soupçonna un crime ; et l’exhumation prouva que la mort était naturelle ; mais, ô surprise, en examinant la cédule que les héritiers avaient mise dans ses mains, on trouva une quittance en bonne forme ainsi libellée : « Je confesse avoir reçu tout ce qui m’a été promis au contenu ci-dessus par le R. P. Claude, et l’en tiens quitte ; en foi de quoi, j’ai soussigné cet écrit de ma main. » De tels récits font sourire aujourd’hui, mais que penser de ce très grand seigneur qui, pour guérir son enfant, lui faisait prendre des lavemens de reliques pulvérisées ? Superstition pour superstition, je préfère encore celle des habitans de Rougemont.

Comme bien vous pensez, le diable joue ici un rôle éminent.

  1. Il y avait cependant un proverbe affirmant que « la dévotion des Comtois ne vaut pas un bouchon. »