Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/798

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs larmes sont à peine de l’eau, qu’en tout cas la facilité avec laquelle elles coulent prouve leur peu de prix. « Chaque année, dit M. Henri Bouchot, le revoit établi dans quelque boutique, répétant toujours la même antienne ; ses charges n’ont pas varié, et elles plaisent toujours. C’est pour le sauver, lui Barbisier, que Jésus est né dans une étable ; l’étoile qui conduit les mages à Nazareth lui est apparue, et il part sans plus de souci des distances, il part en chantant, mais non sans biscuit. Il porte à l’enfant Dieu du fruit de ses vignes, des premières vignes du monde, des vignes de Comté. Et chemin faisant, il moleste les moines occupés à faire ripaille, les avocats qui grugent le pauvre monde, les raccommodeurs de casserole qui mettent la pièce à côté du trou ; il rembarre sa femme, son ami « le compare, » il conseille aux rois mages de se récurer le visage, à la sainte Vierge de tenir au chaud le poupon. Tout le bousbot en quelques traits, le bisontin bien persuadé que sur cette terre il y a l’Europe, que dans l’Europe il y a la France, dans cette France Besançon, et dans ce Besançon un quartier, celui des Arènes, le sien, où vivent ses pareils, les confrères de Saint-Vernier, les vignerons des côtes, dont il est le premier, cela va sans dire. » Et, à force de le voir revêtir tous les costumes, de l’entendre emprunter son langage à chaque classe et persifler ses travers, la foule se sentait charmée, presque émue, et, derrière la pauvre marionnette, elle imaginait vaguement un personnage mystérieux, associé par une volonté supérieure aux destinées de la cité, comme cette tante Arie, le bon génie des familles rurales, qui protège chaumières et récoltes contre les orvales et les esprits malfaisans, empêche de s’embrouiller la quenouille des femmes et la vertu des filles.

Après la ville, la campagne : ici encore éclate le génie naïf et narquois de nos aïeux, avec ce besoin du pathétique mêlé au comique qui forme la trame de la vie humaine. Comme les mânes évoqués par le prudent Ulysse, de toutes parts surgissent les mythes populaires ; ils assiègent ma mémoire, et je revois toujours les visages curieux, anxieusement tournés vers le conteur, dans les longues veillées d’hiver, au temps déjà presque disparu de la quenouille et du rouet. Comme on les sentait émus, quelle franche lippée de rire quand l’aventure tournait à la drôlerie, et quels airs soucieux lorsque le drame se nouait, se hâtait vers une fin lamentable ! Oh oui ! la légende a ses mystères, ses rites, sa logique, en quelque sorte aussi sa théologie. Qui me les répétera, ces féeries aussi charmantes que les contes de Perrault, la Charrue des Anges, le Moine Félix et l’oiseau bleu, la Dame de Montfort avec ses sept enfans jumeaux, la Queue du diable, le Curé de Saint-Lupicin, les Culs fouettés d’Ougny, la Quittance d’outre-tombe, Saint-Pierre