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qu’il les tînt de sa propre bouche. Lui seul, avec sa souplesse rusée, était capable de lui glisser la pilule et d’en adoucir l’amertume.

Il trouva le patron très grave, prêt à sortir. Le gros Simpson et le long Watkins étaient avec lui : « La Providence est avec nous, Cook, déclara Winterbottom. Il est évident qu’elle m’a chargé d’une mission. En terrassant le frivole Careford de sa main puissante, elle a montré, n’en doutez pas, le cas qu’elle fait des hommes qui conduisent les nations à leur perte. Venez, mon ami, je vais vous ramener à Barton dans ma voiture. En route, nous nous entretiendrons des conséquences que peut amener cette mort extraordinaire.

— Excusez-moi, répliqua Cook, j’ai à vous faire une communication de la plus haute importance et qui rendra sans doute inutile votre course en ville. Nous serons mieux dans votre cabinet, moi, pour exposer ce qu’il faut que je dise, — vous, cher et respecté monsieur Winterbottom, pour l’écouter. Ces messieurs ne sont pas de trop, ajouta-t-il, en se tournant vers les deux amis. »

Tous demeurèrent. Alors Cook prit la parole, passa en revue la situation. Jamais il ne s’était senti si en verve. Il représenta à Richard que le décès de son concurrent n’augmentait pas les chances du conservateur, laissait simplement les choses en l’état. À l’entendre, le parti libéral était décidé à faire un effort vigoureux pour conserver ses positions. Sûrement, — il ne pouvait le celer à son maître, — cet effort serait couronné de succès. Certes, leurs adversaires découvriraient aisément un homme, — un homme quelconque, — prêt à affronter la lutte et dont le triomphe, — hélas ! — ne serait pas douteux. Il rappela à Richard l’échec de la réunion publique qu’il avait organisée, et insista sur l’impossibilité où se trouvaient les conservateurs de détourner le courant qui entraînait les électeurs vers le radicalisme de Gladstone et de Morley. C’est alors qu’il avait eu, lui, Cook, une inspiration de génie. Flairant la déroute, sentant la partie perdue, soucieux d’épargner à son bienfaiteur l’humiliation de la défaite au-devant de laquelle il courait, il s’était spontanément offert aux suffrages des libéraux. Si étrange que cela parût, il avait sollicité la candidature. Et pourquoi ? Oui, pourquoi se résignait-il à ce sacrifice, pourquoi consentait-il à laisser peser sur lui l’horrible accusation de duplicité et d’ingratitude ? Simplement pour continuer d’être utile à Winterbottom, jusqu’à la mort. Était-il préférable, — il le demandait à son chef, — que Barton fût représenté par un député hostile ou simplement indifférent au propriétaire du Pantheon, ou que le siège aux communes fût, au contraire, occupé par un de ses amis les plus dévoués,