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Winterbottom ? Héritier de la fortune de son père, à qui la liberté de tester avait permis de laisser au préféré la plus grosse part de son bien, il avait systématiquement écarté de sa route tout ce qui préoccupe ou passionne. Bien qu’il ne s’absentât guère du magasin, il en avait abandonné la direction à un fondé de pouvoirs intelligent, vif, parti de très bas, d’abord factotum, plus tard associé. Aux environs de la ville, se dressait une sorte de château-fort d’une architecture extraordinaire, the Towers, résidence majestueuse où il vivait dans un grand luxe, donnant des fêtes, soucieux surtout d’attirer la première société des environs. Car un nuage obscurcissait son existence. Riche et considéré à Barton, membre du Board of guardians, du conseil communal, alderman, puis maire enfin pendant une année, il s’était heurté, le jour où il avait voulu monter plus haut, à la barrière infranchissable dont s’entoure la gentry anglaise. Ses invitations avaient été refusées, ses visites à peine rendues. Certes, les commerçans, ses confrères, se pressaient à sa table et quelquefois même les magistrats locaux ne dédaignaient pas de s’y asseoir ; mais les châteaux du voisinage boudaient, les majors et les capitaines l’ignoraient absolument. Il était no one, un inconnu, non méprisé à coup sûr, mais simplement dédaigné. Une fois, il avait tressailli d’espoir. À l’occasion de l’inauguration d’un hospice, l’honneur lui était échu de recevoir l’héritier de la couronne. Maire de la ville, il présenta la clé d’or à l’altesse, promena le prince dans la journée, et le soir, dans un grand banquet, prononça l’éloge traditionnel de la souveraine et de sa famille. Le lendemain, quand des maisons pavoisées pour la circonstance, flammes, drapeaux et écussons disparurent, il rêva, espéra, attendit avec anxiété que la faveur royale comblât enfin ses vœux les plus chers. Baronnet, il n’y songeait pas, c’était trop gros ; mais knight bachelor, pourquoi pas, puisque c’était l’usage ? Ce qui avait été souvent octroyé à des maires, après des cérémonies que la reine ou son fils aîné avaient honorées de leur présence, il ne l’aurait pas, lui qui était si généreux, si bienfaisant, le leading citizen de la ville de Barton ? On ne lui fournirait pas les moyens de pénétrer dans ces salons orgueilleux qui se fermaient bien devant Mr Winterbottom, mais qui ne pourraient tenir rigueur à sir Richard ? Il y compta, fut désabusé. Des semaines passèrent ; une lettre vint, du secrétaire du prince, remerciant le maire de l’accueil que ses administrés avaient fait au noble visiteur, et ce fut tout. Notre héros fut accablé. C’était le plus grand chagrin qu’il eût éprouvé de sa vie.

Il en parla avec amertume. Encore s’il avait appartenu au parti d’opposition, au clan libéral de la ville ! Oui, s’il était devenu,