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et la principauté de Luang-Prabang qui lui payait tribut ? En revendiquant le territoire de cette principauté jusqu’à la rive gauche du Mékong, nous abandonnons au Siam les territoires de la rive droite ; ce qui est une satisfaction rationnelle aux droits que la cour de Bangkok peut, de son côté, faire valoir sur cette principauté laotienne. Dans ces conditions, l’ultimatum du 20 juillet était parfaitement acceptable, et l’on regrettait que le gouvernement siamois nous réduisît à entreprendre une expédition militaire, dont l’issue ne pouvait être douteuse, et dont les résultats eussent été d’autant plus désastreux pour lui qu’elle aurait été plus longue et plus coûteuse pour nous. Il est clair que l’opinion publique française se serait montré d’autant plus exigeante, lors du règlement définitif de ce litige, que nos sacrifices en hommes et en argent auraient été plus grands.

En attendant l’action militaire offensive, M. Develle avait notifié diplomatiquement aux puissances que les forces navales françaises allaient procéder au blocus de l’embouchure du Ménam. Une signification locale avait été faite en même temps à Siam, pour permettre aux navires de commerce, mouillés devant Bangkok, de prendre la mer avec leur chargement. Dans trois ou quatre jours, le blocus serait devenu effectif, suivant les règles du droit international, qui impose aux nations civilisées, pour qu’un investissement maritime soit reconnu valable, cette condition que le commandant croiseur soit en état de le faire respecter par tout bâtiment neutre, se présentant à la barre pour entrer dans le fleuve ou pour en sortir. Cette règle du blocus de fait, imposée aux belligérans pour qu’un investissement demeure légitime, l’amiral Humann eut été parfaitement en état de l’observer avec la flotte dont il dispose, composée d’un cuirassé, un croiseur, deux avisos et cinq canonnières.

Il est vrai que le blocus du Ménam, voie de transit considérable, par laquelle la navigation est très active, aurait exigé une surveillance beaucoup plus stricte que celle qui avait suffi, par exemple, l’année dernière, sur les côtes du Bénin, durant l’expédition du Dahomey ; mais l’étendue des côtes bloquées eût été, en revanche, beaucoup moins grande. D’ailleurs, ce blocus, préjudiciable au commerce européen plutôt qu’aux indigènes et au gouvernement siamois, n’eût pas été d’une très longue durée, parce que l’expédition à l’intérieur que nous préparions, et pour laquelle des troupes spéciales étaient déjà parties de France, eût changé, d’ici quelques semaines, la face des choses.

On espérait d’ailleurs que le jeune roi de Siam et ses ministres reconnaîtraient les inconvéniens qu’il y aurait pour eux d’épuiser les dernières chances de la lutte avec une puissance de premier ordre, qui ne rêve aucune conquête, mais qui est déterminée à faire respecter ses droits. Le roi actuel de Siam, très intelligent et très « moderne, » connaît l’histoire de son pays. Il sait qu’à plusieurs reprises depuis