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qu’on ne le croit, qu’elles font moins de tort à la société qu’à celui qui les professe, que, depuis qu’on les laisse circuler librement, les États n’en sont ni moins tranquilles ni moins prospères. D’autre part, l’expérience nous apprend que si les grandes persécutions engendrent de grands maux, les petites persécutions ont rarement produit l’effet qu’on en attendait.

Ces raisons peuvent être bonnes, mais elles me paraissent insuffisantes. Si le système de la contrainte mitigée n’avait contre lui que son inefficacité démontrée par l’histoire, je serais inquiet pour l’avenir. L’expérience des autres ne nous instruit guère ; on peut toujours se dire qu’ils ont eu la main trop légère ou trop lourde, qu’ils ont manqué d’adresse ou de persévérance, qu’ils s’y sont mal pris, qu’on s’y prendra mieux. Une garantie qui me paraît plus sérieuse est le changement qui s’est fait dans l’esprit public et, n’en déplaise à sir Fr. Pollock, le profond discrédit où est tombé son grand principe de l’omnipotence légale du souverain. C’est une thèse que des théoriciens tels que lui peuvent s’amuser à soutenir, mais en réalité, et dans la pratique, l’homme moderne n’y croit plus.

Parmi les principaux mobiles de l’esprit de persécution, il en est un, fort important, qu’il a oublié de signaler : c’est la tendance de certains gouvernemens à fonder l’unité politique sur l’unité religieuse, et leur foi absolue dans le droit qui leur appartient de gouverner les consciences à leur guise. On en voit déjà un exemple dans l’antiquité polythéiste, exemple unique, si je ne me trompe. Antiochus Épiphane, que M. Mommsen a qualifié de Joseph II Asiatique, avait formé le gigantesque dessein de fondre ensemble toutes les nations dont se composait son empire, et, persuadé que la diversité des religions était le plus grand obstacle à l’exercice de sa souveraineté, il exigea que tout le monde adoptât le culte hellénico-romain qu’il professait. Il déclara la guerre à Jéhovah comme à Mitra, il persécuta les récalcitrans, pilla outrageusement leurs temples. Il ne réussit qu’à provoquer un soulèvement des Juifs, à favoriser malgré lui la création de l’État parthe et à détacher d’Antioche les provinces intérieures de la Syrie.

Les rois d’Espagne furent plus heureux ; ils chassèrent les Juifs et les Maures, et la foi catholique régna des Pyrénées à Cadix. L’inquisition fut dans ce pays un instrument d’unité politique si efficace que l’Espagne put se passer de l’unité administrative. Quand Louis XIV révoqua l’édit de Nantes, le fanatisme ne fut presque pour rien dans cette affaire. Il était le moins fanatique des souverains, il n’avait, disait-on, que la foi du charbonnier ; mais il pensait que tout bon sujet doit avoir la religion de son prince, et il cherchait sa gloire. Ce n’était pas l’hérésie qui lui était odieuse, mais l’opposition ; peu lui importait que les protestans se trompassent en matière de foi, il leur en voulait d’être indociles et obstinés. Cette conception de la souveraineté se retrouve