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la guerre des dieux. Je relisais dernièrement la satire où Juvénal raconte que deux villes d’Égypte, Coptos et Tentyre, nourrissaient l’une pour l’autre une haine immortelle, inspirée par la superstition :


Immortale odium, et nunquam sanabile vulnus.


Cette querelle religieuse lui fait horreur, et il s’étonne de la démence d’un peuple qui s’imagine qu’on ne doit reconnaître que ses dieux et détester tous les autres. Le cas était particulier : les Coptites adoraient les crocodiles, et les Tentyrites passaient pour avoir le don de les détruire sans danger. On en vint aux coups, la mêlée fut sanglante, un blessé fut mis en pièces et mangé cru. « Pourra-t-on jamais inventer, s’écriait le poète, des supplices dignes de ces monstres dont la colère est aussi cruelle qu’une famine ? »

Certains actes de fanatisme sanguinaire n’étaient possibles qu’en Égypte. Partout ailleurs, chaque cité, ayant son divin patron, reconnaissait à toute autre cité le droit d’avoir le sien. La question était seulement de savoir s’il convenait de tolérer ou d’introduire chez soi les cultes étrangers. Longtemps le sénat romain leur témoigna d’ombrageuses défiances et répugna à les admettre, jusqu’à ce que Rome étant devenue la capitale du monde et une cité cosmopolite, son panthéon devint hospitalier. Elle se peuplait de Grecs asiatiques, de Syriens, d’Égyptiens, de Juifs, et chaque peuple apportait avec lui ses cérémonies et ses rites. Mais il arriva qu’un jour l’un de ces cultes parut incompatible avec la sûreté de l’État. Le nouveau dieu ne ressemblait pas aux autres ; il n’avait garde d’entrer en partage avec personne, il exigeait qu’on l’adorât seul, et alors commencèrent les premières persécutions en règle qu’ait connues le monde romain.

Comme le dit fort justement sir Fr. Pollock : « Aux yeux de la foule, les chrétiens passaient vaguement pour des gens qui refusaient d’adorer les dieux officiels ; et les gouvernans regardaient la nouvelle église comme une société déjà fort répandue, capable de se répandre encore davantage, dont les affaires étaient gouvernées par une juridiction autonome, différente de celle de l’État, et quoiqu’on ne pût mettre à sa charge aucun délit flagrant contre l’autorité constituée, on savait qu’elle défendait rigoureusement à ses membres de prêter le serment d’allégeance sous la forme usuelle. Pour le vulgaire, le christianisme était une insulte permanente à la majesté des dieux ; pour les esprits éclairés, une menace permanente contre le gouvernement. » Les sociétés antiques avaient toutes leur religion civile ; mais l’église chrétienne était une société purement religieuse, et cette exception devait paraître suspecte. On ne connaissait guère sa doctrine ; elle-même semblait chercher le mystère, et le