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par esprit de conduite affectent d’honorer des croyances qu’ils méprisent, ils n’en seront pas moins hostiles aux hérétiques. Ne prenant pas au sérieux les passions religieuses, ils auront peine à se persuader qu’un homme qui attaque la religion officielle ne nourrisse pas des ambitions secrètes et perverses.

L’intolérance, dans l’antiquité, n’a jamais été qu’une fièvre fort intermittente ; elle se manifestait surtout dans les crises exceptionnelles, quand le peuple cherchait la cause mystérieuse d’un événement sinistre, imputable à la colère d’un dieu honni ou négligé. Sir Fr. Pollock cite comme exemple du fanatisme athénien la condamnation de Socrate ; mais tout porte à croire que dans cette affaire la religion ne fut qu’un prétexte. Quoique Melitus accusât ce saint de méconnaître les dieux de la république et d’introduire des divinités étrangères, il mourut parce qu’il avait souvent médit de la démocratie et qu’il était le maître et l’ami de la jeunesse dorée qui conspirait contre elle.

Sir Fr. Pollock aurait mieux choisi son exemple s’il s’était souvenu de la mutilation des hermès. Ce grave incident survint lorsque Athènes était tout occupée de sa redoutable expédition contre la Sicile. On a comparé l’impression qu’il produisit sur les Athéniens à l’émotion que ressentiraient les Espagnols si un matin, à leur réveil, ils apprenaient que pendant la nuit, dans toutes les églises de Madrid, des images de la sainte Vierge ont été détruites ou profanées. Pour que les deux cas fussent tout à fait semblables, il faudrait supposer une Espagne démocratique travaillée par des sociétés secrètes, des héteries d’oligarques, dont les complots l’inquiètent et l’exaspèrent. Il faudrait supposer aussi que les Espagnols, sur le point de s’embarquer dans une grande aventure, fussent partagés entre les grandes craintes et les grandes espérances et sentissent plus que jamais le besoin de s’assurer le secours des puissances célestes. La mutilation des hermès pouvait avoir pour effet de brouiller Athènes avec les dieux et avec le succès ; elle ne se doutait pas que le dessein secret des hermocopides était de la brouiller avec Alcibiade.

« Le peuple dur et soupçonneux, dit Thucydide, fit jeter en prison bien des hommes respectables. On ne voyait pas de terme à ses rigueurs, chaque jour il devenait plus féroce. De nombreux accusés furent punis de mort, on mit à prix d’argent la tête de ceux qui s’étaient enfuis. On ignore si les infortunés qui périrent avaient mérité de mourir, mais au moins, dans la circonstance, le reste des citoyens respira plus librement. » On se flattait de s’être réconcilié avec l’Olympe ; mais en rappelant Alcibiade pour le juger, on avait perdu la Sicile.

L’antiquité polythéiste n’a connu ni les fureurs du prosélytisme ni