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désireux de maintenir leur suprématie. Comme le remarque sir Fr. Pollock, a cette explication, quelque plaisir qu’elle procure aux esprits vulgaires en rejetant sur une seule catégorie de personnes tout l’odieux des chapitres désobligeans de l’histoire, est au mieux-aller bien superficielle. » Si intéressé que fût le clergé à étouffer l’hérésie, ses efforts seraient demeurés vains s’il n’avait eu pour lui l’assentiment des peuples et du gouvernement séculier ; il dénonçait, c’était l’État qui frappait.

On a pu dire aussi que les jugemens rendus étant toujours accompagnés de confiscations, les gouvernemens persécuteurs ne songeaient qu’à satisfaire leurs convoitises. Il est certain que la croisade contre les Albigeois a dégénéré bien vite en une simple guerre de conquête, et qu’au Mexique comme au Pérou, le prosélytisme des Espagnols ne fut souvent qu’un prétexte à rapines. Il est également certain qu’on aurait laissé les Juifs plus tranquilles s’ils n’avaient ajouté au crime de l’infidélité le malheur d’être plus habiles et plus riches que les chrétiens, et d’exciter plus d’envie encore que de haine : l’antisémitisme contemporain en fait foi. En Angleterre, avant leur expulsion, sous Edouard Ier, ils étaient considérés comme gibier de la couronne, et on ne les accusait guère d’assassiner les petits chrétiens que lorsque le roi se trouvait dans un pressant besoin d’argent. Il n’en est pas moins vrai que les princes qui persécutaient les Juifs et les hérétiques pensaient exercer un droit et accomplir un devoir, que la conscience de leurs peuples les absolvait, qu’une loi, qu’on pouvait croire divine, sanctionnait leurs violences. C’est là ce qu’il s’agit d’expliquer.

Les grands mobiles de persécution, nous dit le jurisconsulte anglais, sont aussi vieux que le monde. Il aurait pu préciser davantage sa pensée, en ajoutant que l’intolérance est pour les sociétés une forme de l’instinct de conservation. Le sauvage a son fétiche, qui le protège, favorise ses chasses ou engraisse son troupeau. Le fétiche est la plus sacrée et la plus précieuse des propriétés, puisqu’elle assure la possession de toutes les autres. Oter à un sauvage son fétiche, c’est le livrer en proie aux puissances malfaisantes de la nature, contre lesquelles il ne peut se défendre que par des moyens surnaturels ou magiques. Il en va de même chez des peuples qui ne sont plus des sauvages. On lit dans le livre des Juges, qu’au temps où il n’y avait pas de roi dans Israël et où chacun faisait ce qu’il jugeait bon, un homme de la montagne d’Éphraïm, nommé Micah, s’était construit une chapelle où il logea un éphod et des théraphim, et que pour être plus sûr d’attirer sur sa maison les bénédictions du ciel, il attacha à son service un lévite vagabond. Des hommes de la tribu de Dan lui volèrent son éphod, ses théraphim et son lévite. Il courut après eux, accompagné de ses voisins, et leur dit : « Vous avez pris les dieux que je me