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pure, le Berlandieri lui-même abandonne la lutte. On peut, à la vérité, l’hybrider, mais alors l’infusion de sève française que lui transmet la fécondation lui fait perdre une partie de la résistance phylloxérique qu’il doit à sa nature sauvage. D’autre part, comme nous l’avons dit, la réussite des boutures de ce bienheureux cépage est des plus difficiles, quoique, au dire de plus d’un viticulteur congressiste, elle devienne assez pratique en employant certaines précautions. En somme, il reste toujours, à l’heure où nous écrivons, certains sols crayeux assez réfractaires au porte-greffe américain pour que le problème de leur replantation puisse être considéré comme toujours posé et non encore résolu.

Heureusement, pour l’avenir de la viticulture française, que non-seulement sur bien des points du territoire même qui nous occupe, jacquez, vialla, solonis verdoient sur des centaines d’hectares, mais que, dans les terrains étrangers à la formation crétacée, la question se dénoue bien plus aisément. Tel est le cas, par exemple, du tertiaire miocène du bassin de la Garonne ; à défaut du Riparia, les vignerons du Haut-Languedoc et de la Gascogne plantent des cépages croisés qu’ils greffent ensuite. L’espèce fécondante à l’origine, le père, si l’on veut, est toujours le Rupestris, parce qu’il est moins calcifuge que le Riparia et non moins résistant ; quant à la variété française fécondée, à la mère, tantôt ç’a été une variété blanche provençale, le colombaud, qui, plantée sur de maigres coteaux, fournissait jadis de petites quantités d’un excellent vin sec, et M. Couderc d’Aubenas a ainsi obtenu son hybride 3103, auquel il a donné le nom de Gamay-Couderc[1] ; tantôt ç’a été le plant connu de Nice à Perpignan et à La Rochelle sous les noms de morvèdre, espar, mataro, negret, balzac, et le même agronome a créé ainsi le morvèdre x Rupestris ; tantôt enfin l’aramon du Bas-Languedoc (croisement réalisé par M. Ganzin, de Toulon : aramon x Rupestris). Pour tous ces hybrides choisis parmi des milliers de types insuffïsans, la résistance à l’insecte, absolue chez les Rupestris purs, s’affaiblit tant soit peu en restant encore énergique, mais l’aire d’adaptation s’étend, et, ce qui est très essentiel, l’aptitude au bouturage et surtout au greffage s’accroît sensiblement.

Nous emprunterons quelques chiffres intéressans à une communication de M. Pierre Castel, président de la Société d’agriculture de l’Aude. Dans ce département limitrophe de la zone toulousaine et moins favorisé que l’Hérault, son voisin, au point de vue de la

  1. Bien qu’un peu coulard, l’hybride 3103 peut, à la rigueur, après sélectionnement des boutures, servir de producteur direct analogue au gamay de Bourgogne. Le morvèdre Rupestris et l’aramon Rupestris portent aussi quelques raisins, mais leur fécondité est bien moindre que celle des cépages français dont ils descendent.