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l’heure actuelle, rien n’autorise les pessimistes à fixer l’âge auquel l’épuisement définitif en arrêterait pour toujours la fécondité.

Il en est ainsi dans tous les sols que tapissent l’ajonc et la bruyère, où prospèrent le chêne liège, le pin maritime, le châtaignier. Comme tous ces végétaux, le Riparia et le Rupestris, qui constituent les meilleurs porte-greffes américains connus, aiment la silice et fuient le calcaire. Ils s’accommodent très bien, hâtons-nous de le dire, de terrains où jamais ces plantes ou arbres, que nous n’avons choisis que pour mieux fixer nos idées, ne sauraient croître ; mais, en somme, les Vitis riparia et V. Rupestris sont calcifuges comme eux. Le carbonate de chaux à une certaine dose les empêche de vivre. Plantés dans un sol crayeux, tuffeux, ou argilo-calcaire, les boutures ou les plants racines végètent d’abord à peu près normalement, mais, au bout de peu d’années, se rabougrissent, jaunissent et meurent. La mort du porte-greffe entraîne naturellement celle du greffon français. Veut-on se convaincre de l’influence néfaste du carbonate de chaux ? On n’a qu’à prendre de la recoupe ou de la rognure de pierre de taille et à l’enterrer autour d’un Riparia franc de pied ou greffé, mais sain et vert ; on le verra peu à peu dépérir en jaunissant et même succomber si la dose de poison est assez forte. Cette redoutable teinte jaune, se détachant souvent sur des flots de luxuriante verdure, indique la présence, dans certains points du terrain de vignoble, d’un excès de calcaire. À l’aspect de ces taches dorées, capricieusement découpées et entremêlées de vert pur, les cultivateurs de l’Hérault disent que la vigne a revêtu sa livrée de deuil.

Ce jaunissement, connu en ampélographie scientifique sous le nom de « chlorose » ou « cottis, » n’était pas absolument inconnu autrefois, du temps des vieilles souches françaises franches de pied. Dans des terrains ou avec des conditions défavorables, dans les craies de la Champagne charentaise par exemple, on voyait chaque année, à l’époque des chaleurs, jaunir la Folle-Blanche qui n’en fructifiait pas moins et continuait à vivre. Dès lors plus d’un viticulteur pépiniériste s’est dit : en hybridant un cépage français qui ne craint pas le calcaire, mais redoute le phylloxéra, avec une vigne américaine rebelle au carbonate de chaux, mais insensible au puceron, nous pouvons obtenir un cépage nouveau à la fois résistant et point trop calcifuge, et la difficulté sera résolue.

D’autres horticulteurs se sont appuyés sur un principe bien différent. Selon eux, la question de résistance au phylloxéra primant tout, il faut pour aborder le problème, soit cultiver uniquement des espèces américaines prospérant, à l’état sauvage, dans les territoires infestés des États-Unis, soit en cas d’insuccès de ce