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elle ne pouvait porter cela en plein jour ; elle aurait l’air, elle aurait l’air… et elle devint cramoisie. En outre, le tulle était tout fané, tout éraillé, non, elle ne pouvait porter cela. Oh ! — Et la jeune fille fondit en larmes d’envie et de vexation, — si elle était riche seulement, comme tant d’autres, elle aurait alors toute sorte de robes. C’était injuste… trop injuste ! Et elle arrivait au désespoir ; puis, de nouveau, elle se mit l’esprit à la torture. Elle avait du temps devant elle, George ne rentrerait pas avant midi. Il lui fallait choisir une robe qu’il n’eût jamais vue encore, afin de lui faire accroire qu’elle la portait souvent ainsi. À la hâte, elle arrangea une robe de cotonnade blanche, l’épinglant sur ses épaules devant la glace, la drapant sur son buste, plus haut que la robe de bal, mais beaucoup plus bas cependant qu’aucune de celles qu’elle mettait le jour. Instinctivement, elle déploya dans ce travail un sentiment de la forme qu’aurait pu envier une modiste parisienne ; ses doigts agiles coupaient et garnissaient dans le style qu’elle s’était proposé ; puis elle essaya la robe, et la certitude de ses charmes s’imposa aussitôt à elle de la manière la plus convaincante. Elle avait passé un ruban bleu, qu’elle possédait par hasard, autour des manches et du corsage ; quand elle vit comme ce fil de couleur accompagnait bien le contour de sa gorge et la blanche rondeur de ses bras, elle aurait embrassé son image dans le miroir. Oui, elle était belle ; George serait forcé de le reconnaître, et il aimait la beauté. N’en avait-il pas parlé à satiété à propos du paysage ? Il serait content. Elle chercha encore quelque autre moyen de s’embellir ; n’en trouvant pas, après avoir fouillé en vain ses tiroirs, elle descendit et emprunta un châle de laine légère à sa mère, sous le fallacieux prétexte qu’elle en aimait le contact.

Ce châle floconneux fut jeté sur ses épaules, puis elle étudia tous les mouvemens qui pouvaient lui permettre de le rejeter en arrière ou de le ramener autour d’elle à volonté. Un instinct lui disait que son charme y gagnait encore. Enfin, avec un soupir de contentement, elle se sentit armée pour la lutte finale. Si George ne l’aimait pas ainsi, — et elle se regardait avec approbation, sous tous les aspects, dans la petite glace ternie, — ma foi, elle n’y pourrait rien, mais s’il l’aimait, et il fallait qu’il l’aimât, eh bien ! tout était sauvé, ils seraient heureux. Au fond du cœur elle tremblait. George était si extraordinaire, si différent des autres ! Il serait capable de rester froid et, sur cette seule supposition, elle était prête à pleurer. Ses révoltes la reprirent… Bah ! s’il ne l’aimait pas, tant pis, elle aurait fait de son mieux et bien assez pour satisfaire l’homme le plus exigeant !

Une demi-heure après, Bancroft rentra et monta droit à sa