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flammes bleuâtres, et en faisant du creek un ruban d’émail ! Pourtant, je me figure que vous préférez un gros diamant sur un large plastron de chemise, un visage vulgaire noyé dans la graisse et un courant de plat bavardage. Vous, dont la beauté est comme celle de la nature elle-même, parfaite, ineffable ! Quand ma pensée vous associera à cette brute grossière, je me rappellerai toujours ce clair de lune, la barrière en zigzags, ce morceau de prairie brune et desséchée et la prostitution d’une divine beauté à l’usage vulgaire de la vie.

La jeune fille ne comprit rien à son inconséquente rapsodie, sauf qu’il faisait grand cas d’elle, et se sentit fière de cet éloge extravagant dont sa beauté était l’objet.

— Mais, George, dit-elle timidement, parce que, toute charmée qu’elle fût, elle n’osait se fier à sa joie, — je ne pense pas plus à l’avocat Barkman que la lune ne pense à la prairie, et m’est avis qu’elle n’en pense pas grand’chose, ajouta Lou avec un petit rire de complète satisfaction.

Hélas ! le son de sa voix et les fautes de langage qui trahissaient chez elle l’absence d’éducation avaient rompu le charme. Bancroft ne par la pas davantage, et bientôt après tous les deux rentrèrent dans la maison.

Inutile de dire que des incidens tels que celui-ci n’étaient point agréables à Lou. De temps à autre, elle s’apercevait que Bancroft se moquait de l’avocat, le faisant poser et lui lançant des épigrammes. Cela lui semblait assez juste ; mais souvent aussi cette habitude de dénigrement était dirigée contre elle, et ceci elle ne pouvait le supporter. Qu’avait-elle fait, que faisait-elle encore pour mériter ses railleries ? Elle ne souhaitait qu’une chose, qu’il l’aimât, et elle sentait avec indignation que chaque fois qu’elle cherchait à le piquer en accompagnant Barkman, il se montrait sans pitié, de même que chaque fois qu’elle revenait vers lui, il reculait d’un pas. Comment expliquer pareille chose ? Elle l’aimait, oui ; personne, elle en était sûre, ne serait pour lui une aussi bonne femme. Il n’y avait rien qu’elle ne fût prête à faire pour lui ; elle veillerait à ce qu’il eût toutes ses aises. Elle rangerait ses papiers, tiendrait ses affaires en ordre. Et, si jamais il était malade, elle le soignerait jour et nuit. Oh ! pourquoi ne pouvait-il être toujours bon pour elle qui ne demandait que cela : sentir qu’il l’aimait ! Elle saurait si bien le rendre heureux… heureux, heureux tant que la journée serait longue. Comme les hommes sont stupides ! ils ne voient rien de ce qu’ils ont sous le nez !

— Il m’aime pourtant, se répétait-elle à elle-même, il m’a dit l’autre soir de si belles choses ! Il ne parle pas à tout le monde comme ça. Mais il ne se laisse pas aller, il ne se décide pas à