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prêter main-forte à quiconque d’entre eux pourrait être victime d’une agression de la part des troupes américaines.

Quand Bancroft rentra au logis, l’Ancien et Mrs Conklin étaient encore debout, et il leur fit le récit de ce qui s’était passé, puis il demanda la permission de parler en particulier à l’Ancien, et dès qu’ils furent seuls :

— Mr Conklin, lui dit-il, je vous ai insulté hier ; j’en suis fâché. J’espère que vous voudrez bien l’oublier et me pardonner.

— Oui, répondit l’Ancien d’un ton méditatif en prenant la main qu’on lui offrait, oui, cela est chrétien, il me semble. Mais la vérité est la vérité… Cependant, — et il se détourna brusquement comme pour quitter la chambre, — le maïs est presque mûr pour être coupé, et… — son regard ferme rencontra celui de Bancroft, — si les troupes des États-Unis ne le mangent pas, l’année sera belle. Bonne nuit.

Un jour ou deux plus tard, les Conklin et Bancroft étant à table, on frappa dehors à la porte.

— Entrez, dit Mrs Conklin.

Un jeune homme se présenta, portant l’uniforme d’un officier de cavalerie. Il leva sa casquette avec des excuses.

— Conklin l’Ancien, je crois ?

L’Ancien fit un signe de tête et continua de manger.

— Ma mission est désagréable, j’en ai peur ; mais ce ne sera pas long. Je suis envoyé par le général Custer pour tirer la ligne de démarcation entre l’État de Kansas et la réserve indienne, pour abattre toutes les palissades élevées sur cette réserve par les citoyens des États-Unis et pour détruire les récoltes qui peuvent avoir été plantées dans la réserve par lesdits citoyens. Notre arpenteur me dit que la limite ici est Cottonwood-Creek ; par conséquent, j’ai le regret de vous notifier que demain vers midi, je viendrai m’acquitter des ordres que j’ai reçus, c’est-à-dire détruire les récoltes et les clôtures que je trouverai de l’autre côté de l’eau.

De nouveau, le jeune homme s’excusa de l’indiscrétion de sa visite et du bref délai qu’il était forcé d’accorder, ceci par égard, sans doute, pour la beauté de miss Conklin, puis il disparut,

— Oh ! papa ! s’écria Lou, pourquoi ne lui avez-vous pas demandé de dîner avec nous ? Il est splendide et cet uniforme est trop joli !

L’Ancien ne répondit pas un mot. Ni la menace courtoise qu’il venait de recevoir, ni le reproche de sa fille ne semblaient avoir produit d’effet. Gravement, il continuait de dîner. Que l’Ancien n’eût pas fait attention à ce que disait sa fille, il y eut là de quoi étonner Bancroft, mais l’admiration ouverte de Lou pour le jeune