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Humbert Ier, à Naples. Les réunions publiques se multiplient également, avec des succès divers, mais sans désordres graves. Je ne crois pas qu’il y ait un pays où l’on parle plus de politique, avec plus de passion apparente et de scepticisme peut-être au fond. Vous entrez dans un restaurant. À côté de vous, se trouvent deux messieurs, l’un qui déjeune, l’autre, debout devant la table, le cigare allumé, un de ces longs cigares noirs, qui ont une paille au milieu. Ils causent politique, généralement ils discutent une candidature locale. Rien n’est plus facile que de les suivre, car ils parlent tout haut, pour la salle entière. Au début, une ou deux phrases sententieuses, dans les tonalités grises, appuyées d’un carissimo. Ce sont des gens qui se sont vus au moins deux fois. La réponse vient, plus vive. Le monsieur debout reprend avec force : Permesso ! La questione è questa… Et alors, avec une véhémence extraordinaire, des gestes fougueux et justes, des expressions de visage qu’un avocat d’assises ne démentirait pas, il plaide, il s’emporte. La riposte trouve à peine sa place. Elle est courte, comme il convient à un homme qui déjeune, mais d’une belle passion. Voilà deux adversaires bien ardens. On se demande comment cela va finir, et si la griserie des mots, la présence de ce public, n’entraîneront pas trop loin l’un des deux. Rassurez-vous. Après un quart d’heure, tout à coup, celui qui était debout tend la main à l’autre : « Au revoir, cher. Je suis attendu, une petite affaire. » Il est très calme. Son cigare ne s’est point éteint. Il sort de l’air le plus tranquille. L’autre commence le second service. Personne n’est ému dans la salle.

On découvre alors que ces passionnés à la surface ont gardé leur sang-froid, sous des apparences qui l’excluaient : qu’ils ont raisonné leurs effets, et déduit logiquement leurs idées. Ils ont essayé, qu’on me pardonne le mot, de « se mettre dedans » l’un l’autre. Ils n’ont pas réussi. Mais ils n’en sont pas moins bons amis et assez près de s’entendre, car aucun principe sérieux ne les divise : il n’y a entre eux que des préférences personnelles et des intérêts du moment.

Cette petite scène, presque quotidienne, aide à comprendre la vivacité des discours et le calme de la rue. Elle explique la fluidité des partis italiens, impossibles à classer, grossis ou diminués inopinément, aux dépens les uns des autres, et qui fait penser à des vases communiquans, séparés, si l’on veut, par un voile de gaze.


— J’ai lu, nécessairement, d’innombrables professions de foi, comptes-rendus de réunions électorales, harangues et lettres aux électeurs. Tout le monde sait que les Italiens ont conservé, dans