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ils se rencontreraient… et des larmes brûlantes lui montaient aux yeux, — elle lui dirait combien elle avait de chagrin, combien elle sentait qu’elle avait été mauvaise, mais c’était sans le vouloir. Non ! elle avait agi sottement ; elle se haïssait pour cela ! Elle ferait plus attention dans l’avenir, bien plus attention. Comme il était brave et bon ! Comme cela lui ressemblait d’être allé chercher de l’eau ! Ah ! s’il pouvait seulement revenir !

Tout le temps Jake l’épiait sournoisement. À la fin il dit :

— Dis, Lou, qu’est-ce que tu aurais fait, s’il avait eu un œil arraché ?

— Allez-vous-en, allez ! s’écria sa sœur en colère. Je crois que vous autres, gamins, vous aimez à vous battre ni plus ni moins que les chiens.

Et Jake s’enfuit pour aller dire et redire son histoire à tous ceux qui voulaient l’entendre. Une demi-heure après, Lou, qui avait gravi jusqu’en haut de la butte pour voir de plus loin, entendit le bruit du sabot de Peter sur le pont de bois, et bientôt le buggy s’arrêta auprès d’elle, Bancroft parlant sans apparence d’émotion dans la voix :

— Ne voulez-vous pas monter pour que je vous reconduise, Lou ?

Sa victoire l’avait mis de bonne humeur, mais ne changeait rien à l’estimation critique qu’il avait faite de la jeune fille. Ce ton calme et contenu la glaça ; cependant ses émotions étaient trop récentes et trop vives pour se laisser refouler.

— Oh ! George, dit-elle, appuyée au buggy et en se penchant pour mieux scruter son visage. Vous n’avez pas de mal, dites ?

— Pas du tout ! répondit-il légèrement. Vous ne vous attendiez pas à ce que j’en eusse, je suppose ?

Le ton était froid, même un peu sarcastique. De nouveau elle fut blessée, sans bien savoir pourquoi ; l’ironie était tirée de trop loin pour qu’elle pût la sentir. Gravement elle répondit : — Allez mettre le cheval à l’écurie, et puis vous reviendrez me parler. Je vous attends ici.

Le maître d’école fit ce qu’on lui demandait, et dix minutes plus tard se retrouva près d’elle. Au bout d’un long silence, Lou dit timidement en s’arrêtant plus d’une fois :

— George, je suis bien fâchée… si fâchée ! Tout a été de ma faute… Mais je ne savais pas… (étouffant un sanglot), je ne pensais pas… Expliquez-moi comment se conduisent vos sœurs, et ce qu’elles portent et ce qu’elles font. Je tâcherai d’agir comme elles. Et alors je serai bien, n’est-ce pas ?.. Elles jouent du piano, dites ?

George fut forcé de reconnaître que l’une d’elles en jouait.

— Et elles causent comme vous ?