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— Voyons, miss Lou, qu’ai-je fait pour vous offenser ? interrompit le maître d’école d’un ton de reproche.

— Rien, répondit-elle apparemment surprise de sa question.

— Quand je suis arrivé, vous avez commencé par vous montrer bonne et accueillante ; mais voilà que depuis deux ou trois jours vous devenez froide, moqueuse, comme si vous m’en vouliez. En supposant que cela soit, j’aurais du chagrin,.. beaucoup de chagrin !

— N’avez-vous pas demandé à Jessie Stevens d’aller avec elle ? riposta miss Conklin.

— Non, certes, déclara chaleureusement Mr Bancroft.

— Alors Seth a menti ! Mais je gage qu’il ne recommencera pas ces manières-là… Seth Stevens, je veux dire. Il m’a demandé d’aller avec lui ce soir et je ne lui ai pas donné la mitaine comme je l’aurais fait si j’avais su !..

— Qu’appelez-vous ne pas donner la mitaine ?

— Dame ! ça veut dire refuser, bien sûr. J’ai seulement dit que j’avais peur d’être obligée d’aller avec vous, parce que vous êtes étranger… J’ai dit que j’avais peur,.. répéta-t-elle, comme si le mot l’eût blessée. Mais il ne perdra rien pour attendre, non, rien ! Soyez-en sûr.

Et les yeux de miss Lou étincelèrent. Tandis qu’elle se redressait sous le coup de l’indignation, Bancroft songea qu’il n’avait jamais vu une aussi belle créature : — Une vraie Hébé ! se dit-il à lui-même ; et il tressaillit dans la crainte d’avoir parlé tout haut. La comparaison était juste. Quoique miss Lou Conklin n’eût que dix-sept ans, sa taille était déjà parfaitement formée : dépassant bien de deux pouces en hauteur la moyenne des femmes, elle devait à cette stature imposante de paraître plus âgée. Son visage était mieux que joli ; il avait toutes les séductions que peuvent prêter la fleur de la jeunesse, des traits réguliers, et un teint admirable ; la finesse de la peau et l’éclat des couleurs ne laissaient rien à désirer ; les masses de cheveux châtains semblaient presque trop lourdes pour la petite tête, d’une forme parfaite ; les grands yeux bleus avec leurs cils noirs étaient si beaux qu’un jeune homme ne pouvait les accuser de manquer d’expression ; si la lèvre inférieure méritait le reproche d’être un peu forte, si la mâchoire tournait un peu trop court, si le menton péchait par quelque lourdeur, rendant ainsi l’ovale de la figure trop rond, ce ne sont pas là des tares chez une Hébé. En tout cas, elle devait paraître sans défaut à son interlocuteur, car il s’efforçait en vain de contenir l’admiration qui éclatait dans des regards dont miss Conklin ne se montrait, d’ailleurs, ni embarrassée, ni flattée. C’était son dû, voilà tout. Après quelques instans de silence, elle dit :

— Je crois qu’il faut que j’aille m’astiquer.