Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/616

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à quelle largeur de jugement la profession de banquier, bien comprise et dignement exercée, peut conduire ceux qui la suivent[1].

Malheureusement la difficulté d’atteindre non pas même à la perfection, mais à une possession suffisante de la science nécessaire, est telle que bien peu y arrivent. Le manque autrefois général, aujourd’hui moindre, d’un enseignement à la fois précis et supérieur, ajoute singulièrement aux dangers et aux incertitudes de la carrière. Comme elle est mal délimitée, les confins en sont envahis par des hommes étrangers à ses devoirs : le titre de banquier n’étant protégé par aucune loi, consacré par aucun diplôme, le premier venu peut s’en emparer et s’en empare en effet. C’est là une des raisons principales de la mésestime où une portion notable du public tient cette branche de l’activité humaine qui mérite cependant une tout autre considération.

Avant d’aller plus loin, il faut avertir le lecteur que le mot banquier, dans notre langue, a reçu une extension qui a beaucoup contribué à la confusion des idées en cette matière. La confusion ne s’est malheureusement pas arrêtée aux mots : elle s’est étendue aux choses, — et bien des erreurs, bien des déceptions, bien des ruines, sont peut-être dues à cette simple logomachie, qui a trompé tant d’hommes au début et au courant de leur carrière, en les empêchant d’en percevoir distinctement le but et les bornes.

En Angleterre, le banker est celui qui fait spécialement le commerce des capitaux, c’est-à-dire dont la fonction essentielle consiste, d’une part, à recevoir les dépôts du public et, d’autre part, à les faire fructifier. Au contraire, celui qui se lance dans les diverses entreprises financières dont nous avons plus haut énuméré les exemples se nomme merchant. En France, le banquier remplit indistinctement les deux rôles ; beaucoup les cumulent ; un certain nombre de sociétés et de maisons particulières semblent toutefois avoir nettement compris la nécessité de séparer les deux fonctions, et se sont adonnées exclusivement aux opérations de banque pure. L’étude que nous allons en faire nous servira à mettre en relief ce que ces opérations ont de scientifique et de raisonné. L’autre partie du domaine de la banque, plus vaste, moins bien délimitée, est beaucoup plus malaisée à explorer avec certitude : c’est pour s’y lancer que toutes les qualités énumérées tout à l’heure sont requises. Encore, conviendrait-il d’ajouter aux connaissances nécessaires

  1. Ricardo fut simple courtier de change ; Goschen, chef de la grande maison Frûhling et Goschen, et Lubbock de la non moins importante banque Robbart-Lubbock et Cie.