Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/613

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont la spéculation est le moteur initial. Le public est frappé par les explosions retentissantes de grands désastres ou irrité par l’échafaudage rapide de certaines fortunes soudainement écloses. Il oublie de considérer les milliards de transactions quotidiennes, qui n’amènent à leur suite ni ruines ni enrichissemens excessifs. Ces derniers sont une exception telle que le philosophe peut et doit en faire abstraction ; il est même rare que ceux qui ont progressé aussi vite sachent conserver ce qu’ils ont amassé et ne reperdent point par la même voie les sommes qu’ils ont gagnées hâtivement. L’expérience nous prouve que les fortunes acquises par le travail sont les seules qui se conservent : une justice immanente des choses récompense finalement chacun selon ses œuvres. Certaines exceptions n’infirment d’ailleurs en rien la démonstration de ce que nous croyons être la vérité, à savoir que la spéculation est légitime en principe. Ses écarts ne peuvent malheureusement pas être définis à l’avance par des textes législatifs, car ils résultent de la personnalité de ceux qui opèrent beaucoup plus que de la nature des opérations. Tel achat fait par un capitaliste puissant ne constituera pour lui qu’un emploi légitime de ses disponibilités, qui serait de la part d’un homme sans ressources un véritable jeu. Il est du reste probable que ce dernier, dans la plupart des cas, ne trouverait pas d’intermédiaires pour exécuter ses ordres, si bien qu’un remède préventif l’empêchera de donner suite à son intention. Mais réussît-il à le faire, que la société est impuissante à y mettre obstacle. Comment rendre le suicide impossible ? Quand le législateur a essayé de frapper la spéculation, il a édicté l’article du code qui assimilait les marchés à terme à des paris, et refusait en conséquence toute action pour en exiger le règlement. Ce texte de loi a-t-il empêché les immenses spéculations à la Bourse qui ont marqué la seconde moitié du siècle, et qui se sont poursuivies grâce à l’honnêteté des intermédiaires et à la confiance qu’ils avaient dans leurs commettans ? À quoi a-t-il servi ? À permettre parfois à des gens de mauvaise foi de refuser de payer à leurs agens de change les différences dont ils étaient devenus débiteurs, après avoir souvent encaissé leurs bénéfices chez les mêmes intermédiaires.

Aussi le parlement a-t-il sagement agi en reconnaissant par la loi de 1885 la validité des marchés à terme qui se pratiquaient couramment avant cette date, mais dont il importait de sanctionner à tous les yeux la parfaite légitimité.


II.

Parmi toutes les spéculations auxquelles donnent lieu les échanges des produits de l’activité humaine, il n’en est point qui