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psychologique remplit le rôle d’une troupe fraîche sur un champ de bataille où l’armée battait en retraite : grâce à ce renfort, l’offensive est reprise et la confiance rétablie.

D’une façon générale, le spéculateur agit comme un régulateur : c’est le volant de la machine qui entretient la constance du mouvement et s’oppose à son ralentissement aussi bien qu’à un excès de vitesse.

Le spéculateur à la hausse intervient quand les prix lui paraissent dépréciés outre mesure ; quand, par exemple, l’action d’une société dont le capital est intact tombe au-dessous du pair. Le spéculateur à la baisse cherche à rétablir l’équilibre quand l’entraînement du public pousse les cours à des hauteurs déraisonnables, paie des primes excessives et tend à porter les titres à des prix qui ne sont plus en rapport avec le revenu qu’ils donnent.

D’ailleurs il ne faut pas raisonner de ces matières in abstracto et comme si toutes ces spéculations étaient la chose du monde à la fois la plus aisée et la plus ordinaire. Elles ne se font ni par les premiers venus ni pour les premiers venus. Elles se produisent sur des marchés organisés où des intermédiaires souvent fort importans n’acceptent d’ordres que de particuliers ou de sociétés en mesure de supporter les risques encourus. Des erreurs de jugement se commettent là comme ailleurs : mais ce serait se tromper fort que de croire qu’il est loisible à chacun d’engager des opérations téméraires.

Quoi qu’il en soit, la spéculation n’est que l’application d’un raisonnement juste ou taux à des entreprises commerciales, financières et industrielles. À ce titre seul, elle mérite déjà d’être considérée autrement qu’une œuvre de hasard et de jeu. Elle n’est nullement spéciale au commerce de la banque, qui est au contraire un de ceux, comme nous allons essayer de le démontrer, qui peuvent le mieux s’en passer. Elle ne se borne pas aux affaires de Bourse, même si l’on prend ce dernier terme dans son acception la plus générale, c’est-à-dire l’ensemble des marchés où se traitent les marchandises aussi bien que les valeurs. Elle est le ferment qui détermine le mouvement des échanges : sans elle, tous nos besoins, aujourd’hui si vite et si aisément remplis, risqueraient souvent de dégénérer en souffrances, faute des objets nécessaires à leur satisfaction, que la spéculation va constamment chercher là où ils sont en excès pour les transporter là où elle espère qu’ils seront plus demandés. Elle assure l’approvisionnement des villes, des nations, en fournissant sans relâche les matières premières nécessaires ; elle permet à leur outillage industriel, maritime, militaire, d’être toujours entretenu et renouvelé.

Les excès en sont condamnables ; mais ils sont bien peu de chose par rapport à l’immense activité du commerce et de l’industrie légitimes