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les circonstances extérieures qui affecteront l’une nuiront également à l’autre. Une guerre, par exemple, qui ferait baisser le 3 pour 100 ne pourrait laisser le 4 pour 100 immobile. Opérer dans le sens indiqué, c’est donc agir en vertu d’un raisonnement par lequel l’arbitragiste a perçu, plus tôt peut-être que la masse du public, cette vérité que tôt ou tard deux engagemens émanés du même débiteur doivent se coter à un prix sensiblement égal. Ce même raisonnement lui indique que, tout en achetant le 4 pour 100 et en vendant le 3 pour 100 à découvert, il ne court qu’un risque limité ; il fait une opération commerciale, puisqu’il n’attend que le moment où, le 3 ayant baissé et le k remonté, il rachètera l’un et revendra l’autre.

Cet arbitrage est tout différent de la simple attente d’une hausse ou d’une baisse due à des événemens fortuits ; il repose sur une déduction en quelque sorte mathématique.

D’autres exemples montreront d’une façon plus éclatante quels services sérieux peut rendre le marché à découvert et comment il permet de diminuer les risques des opérations financières, commerciales et industrielles.

Voici un banquier qui négocie avec une compagnie de chemin de fer pour acheter d’elle une certaine quantité de ses obligations, que nous supposerons, comme c’est presque toujours le cas en France, garanties par l’État. Le banquier remplit ici le rôle d’intermédiaire entre ceux qui ont besoin de capitaux, dans l’espèce la compagnie de chemin de fer, et ceux qui cherchent au contraire à placer leurs capitaux, c’est-à-dire le public qui va acquérir ces obligations. Depuis le moment où le banquier aura signé avec la compagnie le traité d’achat jusqu’à celui où il aura revendu les titres à ses cliens, il s’écoulera un temps plus ou moins long, durant lequel le banquier courra tout le risque d’une baisse possible. Qu’une guerre éclate, et cette baisse pourra atteindre des proportions qui affecteront d’une façon fâcheuse la situation de sa maison. Or il est un moyen de s’assurer contre ce danger. La rente française est une créance sur le débiteur qui a garanti les obligations de la compagnie de chemin de fer, l’État français. Vendre de la rente, c’est donc, sous une autre forme, diminuer l’engagement contracté par l’achat des obligations. Une baisse violente ne pourra atteindre ces dernières que si le crédit de leur garant vient à diminuer. La même cause ne pourrait manquer de faire baisser la rente française. Le banquier réaliserait alors du chef de cette baisse un profit qui viendrait compenser ou atténuer la perte résultant pour lui de la baisse des obligations. En étant ainsi vendeur de rente, il aura éteint le risque qu’il courait à