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les frais qu’il a dû faire pour l’édition, et réalise en outre un bénéfice. Le libraire a spéculé à la hausse sur les idées, sur le style, sur le renom d’un écrivain ; il court un risque aussi longtemps qu’il n’a pas vendu assez d’exemplaires pour être au moins indemnisé de ses Irais. Il ne réalisera un bénéfice que le jour où le nombre sera dépassé ; il sera en perte si le nombre n’est pas atteint.

Il serait aisé de multiplier les exemples. Ne nous y attardons point. Aussi bien pensons-nous que ceux que nous venons de donner suffiront pour qu’on nous accorde que, si certaines spéculations sont blâmables, l’idée même de la spéculation ne saurait l’être, sous peine de vouloir arrêter la marche de l’humanité.

On nous objectera que nous étendons trop le sens du mot et que nous lui taisons embrasser l’ensemble des opérations commerciales. À vrai dire, nous ne nous effrayons pas outre mesure de ce reproche. Nous sommes bien aises de montrer à combien de nos actes cette idée préside, pour mieux prouver d’une part la difficulté de découvrir la limite à lui assigner scientifiquement et, d’autre part, les obstacles infranchissables qui s’opposent à une répression législative.

Nous ne chercherons pas d’ailleurs à rendre notre tâche plus facile en prolongeant la discussion sur ce terrain où les avantages de notre position sont trop évidens.

Nous bornerons notre analyse à celles des opérations de la spéculation qu’il est d’usage d’envisager sous ce nom. Signalons toutefois là une première erreur qui consiste à prendre la partie pour le tout. Mais peu importe, c’est aux spéculations de Bourse que les critiques s’adressent ; ce sont les marchés à terme dont la validité a été niée jusqu’à nos jours, puisque la loi qui les reconnaît ne date que d’il y a sept ans. Examinons donc les opérations de Bourse ; étudions les marchés à terme ; nous étendrons notre travail, cela va de soi, aux bourses de marchandises ; car les marchés qui ont pour objet les cafés, les farines, les sucres, entrent dans cette catégorie, comme ceux qui s’appliquent aux valeurs dites spécialement mobilières : les denrées d’alimentation et autres sont des valeurs mobilières aussi bien que les titres de rentes, d’actions ou d’obligations, auxquels l’usage a réservé ce nom.

Les spéculations sont susceptibles d’être classées de deux façons différentes, suivant qu’on en considère la forme ou le fond. Au point de vue de la forme, elles se divisent en spéculations au comptant et en spéculations à terme. Les premières se résolvent par l’acquisition de valeurs, titres ou marchandises, livrables ou payables au moment même où le contrat se conclut. L’engagement et l’exécution de l’engagement sont simultanés.