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leurs preuves, et des vagabonds que le hasard de leur fortune a poussés dans une carrière qu’ils déshonorent. »

Différens projets de loi furent en effet présentés et discutés au conseil des Cinq-Cents en l’an v et en l’an VI. La commission de la classification des lois proposait de rétablir les avoués ; et quant aux défenseurs officieux, elle les plaçait sous la surveillance des tribunaux auxquels elle attribuait le droit de les réprimander, de leur retirer la parole et même de les interdire pour toujours de leurs fonctions. Ces mesures paraissaient insuffisantes à la plupart des représentans ; et cependant on n’osait pas encore aller plus loin, de peur déporter atteinte au fameux principe de la liberté de la défense. On ne réussit pas à s’entendre sur les moyens de remédier au mal et la discussion ne put pas aboutir.

Mais il est un point sur lequel tous les orateurs sont tombés d’accord. Ils ont tous reconnu qu’il était urgent de mettre un terme aux abus dont la France entière était excédée ; tous ceux qui ont pris la parole ont stigmatisé la conduite des défenseurs officieux. Quelques-uns d’entre eux, s’abandonnant à cette éloquence un peu déclamatoire qui était alors très goûtée, avaient recours à d’ingénieuses métaphores pour faire comprendre à leurs collègues la triste situation des plaideurs. « Il est temps, disait Laujac, de balayer du temple de la justice les sangsues qui en obstruent les avenues pour se disputer les dépouilles des malheureux plaideurs ! » Et Pison du Galand s’écriait : « Sans doute il faut purger les tribunaux de ces vampires ignares qui les déshonorent ! »

Avec moins d’emphase, mais avec plus de précision et de netteté, le représentant Riou résume les déplorables résultats produits par les décrets de 1790 et de 1793 : «Autrefois, dit-il, le barreau avait ses règles ; aujourd’hui la licence la plus effrénée y règne sous le nom et le prétexte de liberté. Autrefois on avait une garantie authentique de la probité, de la bonne conduite et de la capacité de ceux qui étaient chargés de l’instruction des affaires ou de la défense des parties. Aujourd’hui l’ignorance s’assied à côté du légiste habile, et l’inexpérience présomptueuse et cupide rivalise avec le talent éprouvé par l’étude et couronné par les succès. Ces abus appellent certainement un prompt remède… »

En résumé, dès la fin de la période révolutionnaire, une triple réforme paraissait indispensable à tous les esprits sensés ; la séparation de la postulation et de la défense ; le rétablissement des avoués ; la restauration de l’ordre des avocats. On était obligé de reconnaître que l’antique discipline du barreau était une garantie précieuse pour les plaideurs comme pour les magistrats. De l’aveu