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terrible, la plus honteuse, celle des hommes de loi. Sa colère la réservait sans doute à la France[1] ! »


III.

Les pouvoirs publics ne pouvaient pas rester insensibles aux plaintes répétées des justiciables et des magistrats. La Convention elle-même, qui, vers la fin de son règne, fit de louables efforts pour remédier au désordre dans lequel elle avait jeté la France, se préoccupa des abus que les victimes des défenseurs officieux lui signalaient de toutes parts, et, par une circulaire du 17 floréal an III, elle appela l’attention des bureaux de paix sur « cette horde avide et crapuleuse de soi-disant défenseurs. »

Le Directoire, à son tour, à la suite d’un rapport du ministre de la justice Merlin, prescrivit une enquête sur « les actes de concussion commis dans l’exercice de leur ministère par les soi-disant hommes d’affaires. » Mais les circulaires ne changeaient pas les mœurs des défenseurs officieux, et les enquêtes, qui permettaient de constater le mal, n’y apportaient point de remède. Une réforme de la législation devenait nécessaire.

Cette réforme était réclamée de la façon la plus pressante par le tribunal de cassation. Il paraît, en effet, que les hommes de loi qui se chargeaient de représenter les parties et de défendre leurs intérêts devant cette haute juridiction ne valaient pas mieux que les autres. Les membres du tribunal supportaient avec peine ces indignes auxiliaires, et le scandale causé par les agissemens du défenseur Baret mit le comble à leur indignation. Baret avait écrit à l’un de ses cliens, le sieur Mazet, domicilié à Villeneuve-sur-Lot, dans le pays des vignes et des fruits, une lettre ainsi conçue : « Comme je connais un intime ami du rapporteur, qui m’a promis de vous être utile, je désirerais que vous me missiez à même de lui manifester ma reconnaissance d’une manière directe. Il s’agirait de me faire passer quelques boîtes de fruits secs et un panier de vin de votre pays pour lui offrir de votre part. » Les magistrats du tribunal de cassation eurent connaissance de cette lettre : on devine leur stupeur. Quelques jours après, ils présentaient une adresse aux deux conseils pour leur signaler la conduite de Baret et de ses collègues, et les supplier de remettre de l’ordre dans l’administration de la justice, a Il y a longtemps, disait le tribunal de cassation, que nous voyons avec douleur des fonctions délicates partagées entre des hommes irréprochables et qui ont fait

  1. Delacroix-Frainville.