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seuls pouvaient obtenir le certificat, qui avaient fait étalage, non-seulement de leurs sentimens républicains, mais encore et surtout de leur enthousiasme pour la politique des Jacobins.

Le conseil-général de la commune, qui délivrait les certificats de civisme, se trouvait dès lors investi d’une sorte de pouvoir disciplinaire sur les défenseurs officieux. Il prit son rôle au sérieux et déclara, en propres termes, qu’il allait procéder à l’épuration du barreau. Il faisait comparaître les défenseurs à sa barre, les interrogeait sur leur conduite, leur demandait quels gages de dévoûment ils avaient donnés aux institutions nouvelles. « Il ne suffit pas, disait un des membres du conseil, qu’ils n’aient jamais suivi le sentier de l’aristocratie, il faut qu’ils aient toujours marché d’un pas ferme dans la route du patriotisme. »

Voici, par exemple, le citoyen Hurot, défenseur officieux, qui se présente le 26 germinal an II devant le conseil-général. Il réclame la délivrance du certificat de civisme qui lui est nécessaire pour continuer l’exercice de sa profession. Mais un membre de sa section prend la parole et fait des observations très désavantageuses sur son compte. « Il lui reproche de ne s’être jamais montré dans aucun temps de la révolution, ou du moins de ne s’être montré que comme aristocrate, venant quelquefois aux assemblées, mais pour y contrarier les délibérations. » Enfin il l’accuse de n’avoir jamais défendu que des aristocrates et d’avoir abandonné la cause du peuple. Il n’en faut pas davantage pour convaincre le conseil : sans examiner si cette basse dénonciation repose sur quelque fondement, il n’hésite pas à briser la carrière du citoyen Hurot, et, non content de lui refuser le certificat, il le renvoie à l’administration de la police. Renvoyé à l’administration de la police ! Ces derniers mots durent retentir comme un glas funèbre aux oreilles de l’infortuné défenseur ; une expérience quotidienne lui avait appris à connaître leur peu rassurante signification. Être renvoyé à la police, c’était être déclaré suspect c’était à brève échéance l’emprisonnement, le tribunal révolutionnaire, peut-être la guillotine !

Malheur à ceux qui échouaient dans ce terrible examen ! Malheur aussi à ceux qui tentaient de s’y dérober et qui renonçaient à leur état pour échapper à la censure du conseil-général ! Ils étaient également classés parmi les suspects. Écoutons l’agent national Payan : dans la séance du 26 germinal an II, il dénonce au conseil- général la conduite d’un grand nombre de défenseurs officieux qui, dans la crainte de se voir refuser le certificat de civisme, préfèrent abandonner les tribunaux. Il requiert les rigueurs du conseil contre ces mauvais patriotes qui semblent douter eux-mêmes de